Hélène Guenin veut faire résonner la collection
Nommée depuis quelques mois à la tête du Musée d’art moderne et contemporain de Nice (le Mamac), après avoir passé de nombreuses années en Lorraine (au Frac, puis au Centre Pompidou-Metz), Hélène Guenin arrive avec un projet bien défini, qui met en avant les questions sociétales, environnementales ou écologiques. Mais cette jeune femme à la volonté bien déterminée sous une apparence toute douce souhaite également montrer que ces préoccupations s‘inscrivent dans la logique de celles exprimées par les artistes de l’Ecole de Nice – dont les Nouveaux réalistes-, si présents la collection. Et que les expositions peuvent se faire avec des moyens différents de ceux utilisés traditionnellement. Elle donne, cet été, un avant-goût de sa manière d’aborder les choses avec une très belle monographie de l’artiste d’origine portugaise Marco Godinho à la galerie contemporaine et une réactivation du Prototype improvisé de type « nuage » de Yona Friedman à la galerie des Ponchettes.
–La République de l’art : Vous êtes à Nice depuis 6 mois, après avoir passé de nombreuses années dans l’Est de la France. Comment vous êtes-vous adaptée à cette nouvelle région ?
–Hélène Guenin : Très bien, c’est un univers très différent, d’autres réseaux à découvrir, une autre façon de travailler, mais c’est une très belle opportunité pour moi de me retrouver à ce poste. Surtout quand on considère la richesse artistique, institutionnelle et historique de cette région. C’est d’ailleurs une région que je connaissais parce que j’y venais régulièrement. D’abord parce que j’aime beaucoup marcher en montagne et que je faisais des grandes randonnées dans l’arrière-pays. Mais j’en profitais bien sûr pour venir au Mamac, à la Villa Arson, à la Fondation Maeght, à l’Espace d’art concret, au NMNM à Monaco, etc., bref pour faire un tour d’horizon des lieux d’art qui comptent dans les environs.
-Plus sérieusement, vous êtes passée du Centre Pompidou- Metz, un lieu où tout était à faire, au Mamac, qui a déjà une histoire très marquée. Cette adaptation a-t-elle été plus difficile ?
-C’est une vraie question que je me suis posée avant de candidater, parce que, aussi bien au Frac Lorraine qu’au Centre Pompidou-Metz, j’ai participé à l’ouverture des lieux (quand j’ai intégré le Frac, en 2002, nous n’avions même pas d’espace fixe). Et cela donne une énergie particulière, l’impression d’écrire une page vierge. Mais à l’inverse, je trouvais aussi passionnant d’arriver dans le contexte contraire, c’est-à-dire dans un musée qui a une histoire de trente ans, un passé fort, une architecte très reconnaissable, une collection très construite. Ici, je ne m’installe pas avec l’idée de devoir tout créer, mais avec un projet qui tient compte de cette histoire et des artistes qui l’ont traversée, un projet qui résonne avec la collection, mais qui cherche aussi à l’actualiser.
-Cette collection, justement, comporte deux axes majeurs : l’Ecole de Nice avec les Nouveaux réalistes, Fluxus, Supports/Surfaces et l’abstraction et le pop-art américains, avec une incursion du côté de l’Arte povera italien. Pensez-vous avoir été choisie en fonction de votre connaissance ou de vos affinités avec ces mouvements ?
-Les choses n’ont pas été dites en ces termes lors des entretiens avec le jury, mais c’était un prérequis et il est vrai que, au cours de mes sept années au Centre Pompidou-Metz, j’ai eu l’occasion de couvrir l’ensemble du XXe siècle. On peut donc imaginer que ce jury a été sensible à mon profil semi-moderne et contemporain, parce que les collections du Mamac couvrent les 60 dernières années et qu’il est important de bien maîtriser cette phase de l’histoire de l’art. En ce qui me concerne, je trouve que ce qui s’est passé dans les années 60/70 est très stimulant et continue à nous interroger de manière très forte aujourd’hui, tant d’un point de vue formel que thématique. Les Nouveaux réalistes, par exemple, ont joué un rôle considérable et ont occupé longtemps le devant de la scène. Mais le temps est sûrement venu, désormais, de pouvoir relire leur travail avec un regard d’aujourd’hui.
-Un des autres éléments marquants de votre venue à Nice est le fait que la direction du musée était vacante depuis un certain temps (l’ancien directeur, Gilbert Perlein, avait été victime d’un accident et était parti en retraite, il y a un an et demi, sans être immédiatement remplacé). Cette situation vous a-t-elle obligé de combler un certain retard ou vous a-t-elle permis d’aller plus vite dans vos premières décisions ?
-(rires) Disons qu’elle m’a obligé à tout démarrer tout de suite. L’équipe m’a réservé un très bon accueil, parce que je crois qu’ils étaient en attente d’un projet et de quelqu’un pour le piloter, mais j’arrive, avec l’exposition Ernest Pignon-Ernest – qui se tient actuellement et qui a été portée par Rébecca François, une des commissaires du musée- au bout de la programmation de mon prédécesseur. Il me faut donc aller très vite et, dès cet été, j’ai dû lancer mes premiers projets. C’est un certain régime de l’urgence mais, d’un autre côté, j’y vois l’opportunité de prendre les choses à bras le corps et d’imprimer une nouvelle impulsion rapidement.
-Autre spécificité liée au lieu : le fait que la région soit si riche, comme vous le disiez précédemment, en institutions, qu’elle ait tant compté dans l’histoire de l’art récente, que tant d’artistes y vivent encore… Avez-vous pris en compte tous ces éléments ?
-Oui, bien sûr, je l’ai fait dans tous les endroits où j’ai été amenée à travailler, mais encore plus ici, compte tenu de l’importance des artistes et des partenaires culturels. Il me semble absolument nécessaire de comprendre ce qui se passe sur un territoire, comment les artistes travaillent, quels sont leurs engagements, bref de dresser une sorte de cartographie de la pratique artistique « locale », même si cela ne donne pas forcément lieu à une exposition. Et puis c’est dans les gênes du Mamac de lier le local à l’international. C’est ce qui a influé sur l’ouverture du musée et c’est ce qui a fait la spécificité de ses collections. Toute une génération a été portée par la volonté d’exister au-delà de Paris, directement en lien avec New York, l’Allemagne, Milan ou le Japon et a eu également la capacité d’attirer sur place des figures internationales (je pense à Ben et aux artistes de Fluxus qu’il a fait venir à Nice dans le cadre de festivals et d’expositions et dont certains se sont installés dans la région). Toute cette aventure s’est faite dans le brassage entre le local et le cosmopolite. Dans ma programmation ou le parcours des collections, je serai attentive à cet état de fait et j’essaierai de le perpétuer, en mêlant des figures internationales et des figures locales qui ont toutefois une résonance en France et hors de nos frontières, car c’est cette ambition que doit porter le musée.
-Alors venons-en à votre programmation, justement. Vous disiez vouloir la faire résonner avec les collections…
-Oui, je prends cette collection un peu comme une source d’inspiration, une matrice de travail et un contexte à partir duquel esquisser des problématiques contemporaines. Chez les Nouveaux réalistes, par exemple, il y a une pratique de récupération et un détournement de l’objet qui ont une résonnance forte dans la création contemporaine, mais aussi des thèmes qui peuvent sembler moins évidents, comme les questions écologiques et environnementales qui sont très présentes chez Arman – et même Klein dans une certaine mesure – et d’autres artistes qui sont au cœur de l’aventure du Mamac. Ce sont des questions qui me semblent essentielles aujourd’hui. Mais je voudrais aussi montrer le travail d’artistes de la même génération que ceux du Nouveaux réalisme et de Fluxus, mais que l’on connait moins…
-Qui, par exemple?
– Je ne vous révélerai pas le nom mais vous le laisse deviner ! Je prépare une exposition monographique d’un artiste que je considère comme une des personnalités les plus importantes de la seconde partie du XXe siècle. Comme les Nouveaux réalistes, il commence à travailler dans le contexte post Seconde Guerre mondiale, abordant des questions sociétales. Il a beaucoup travaillé, en particulier, sur la question de l’autodestruction. C’est un thème récurrent de l’époque que l’on retrouve dans les colères et explosions d’Arman, mais aussi chez Niki de Saint Phalle ou Tinguely, bref, une interrogation et pratique caractéristique de cette génération. Et c’est quelqu’un qui m’intéresse aussi parce qu’il me permet d’amener d’autres façons de travailler, dans la mesure où beaucoup d’œuvres sont à réaliser sur place, ou qu’elles nécessitent la participation du public. Ses modalités de travail résonnent d’une manière extrêmement pertinente avec des enjeux d’aujourd’hui, parce qu’elles ne demandent pas ou peu de transport et s’inscrivent dans une dimension écologique (également au cœur de sa démarche) et dans une certaine économie.
Cette inclusion du public est une donnée essentielle pour moi et c’est aussi une des raisons pour lesquelles j’ai voulu programmer, là encore dès juillet, à la galerie des Ponchettes, qui dépend du Mamac, une réactivation du « Nuage » de Yona Friedman, qui est la réalisation in situ, par des non professionnels et avec des matériaux de récupération, d’une forme architecturale libre et improvisée évoquant un nuage. C’était une sorte de petit caillou pour moi, une manière de montrer comment j’avais envie de travailler. Et ça s’est fait vite, mais magnifiquement : nous avons trouvé avec l’équipe huit personnes qui avaient un lien avec la mer (une « communauté de la mer »), à qui nous avons présenté la démarche de Yona Friedman et ses engagements, dès les années 1950, sur une autre manière de concevoir l’architecture – en partant des usagers -, et sa forte implication sur les questions environnementales. Ces personnes se sont investies totalement pour créer cette architecture éphémère dans un matériau qu’elles ont choisi : les filets de pêches. Ainsi, je voulais rendre sensible ma volonté d’ouvrir des portes et d’abolir les frontières. L’architecture du Mamac peut parfois faire penser à une forteresse, mais je veux absolument que le public le perçoive comme un espace de circulation ouvert sur l’extérieur.
-Autre caillou qui a une même valeur ‘manifeste’ : l’exposition de l’artiste d’origine portugaise Marco Godinho, que vous présentez au Mamac, dans la galerie contemporaine, et dont vous êtes commissaire…
-Oui, Marco Godinho est un artiste avec lequel j’avais déjà collaboré, mais jamais pour une exposition monographique (c’est d’ailleurs sa première exposition en musée). Là encore, l’exposition s’est faite rapidement. On y retrouve cette dimension participative et cognitive et ces questions sociétales sur le nomadisme, le fait d’appartenir à plusieurs cultures, mais toujours de manière sensible et poétique. Et c’est une exposition que j’avais envie de programmer ici, parce dans les premières semaines de mon arrivée, lorsque je parlais avec les gens, je me rendais compte qu’ils avaient tous une famille originaire du Piémont, de Ligurie, de Russie et d’ailleurs, et que la région est une terre de brassage, de frontières, de cultures multiples. Et bien sûr, cela faisait écho, pour moi, avec l’actualité, en particulier avec la question des migrants, mais en l’abordant à partir d’une histoire personnelle.
Une autre dimension sur laquelle j’ai travaillé avec l’artiste est que l’exposition tient en une valise : des œuvres à réaliser sur place, des protocoles à réactiver, une phrase à écrire avec des clous, bref, là encore des œuvres qui demandent peu de moyens et qui témoignent d’une manière d’agir différente des expositions et œuvres plus classiques, qui arrivent déjà toutes faites, prêtes à montrer.
-On vous sent très sensible aux questions sociétales, écologiques, environnementales. Mais ne pensez-vous pas que, sur la Côte d’Azur, le climat, le contexte, le mode de vie invitent davantage à un art plus tourné vers l’objet ou la forme, de la même manière que la scène de Los Angeles se différencie de celle de New York ?
– Il y a en effet sur la Côte d’Azur une tradition d’une relation forte à l’objet qui remonte aux Nouveaux réalistes et qui perdure aujourd’hui sous des formes de détournement et de « bricolage ». Mais cette dimension a toujours coexisté avec un autre enjeu ici : confondre l’art et la vie, que ce soit en affirmant des gestes triviaux et quotidiens comme une pratique artistique ou en étant en résonance avec des questions de société. Mais cette question de l’influence d’un contexte sur l’émergence de formes est très intéressante et ce sera d’ailleurs un des points qui seront évoqués dans l’exposition sur l’Ecole de Nice qui aura lieu l’été prochain dans des musées de la ville, dont le Mamac, et dont le commissariat général sera assuré par Jean-Jacques Aillagon. Je crois énormément à l’influence de ce contexte et les artistes que j’ai rencontrés ici ont des préoccupations et des manières de travailler très différentes de celles des artistes que je pouvais côtoyer en Lorraine. Par ailleurs je crois aussi beaucoup au fait que les musées sont des espaces publics, offrant à travers le regard des artistes, un point de vue singulier sur le monde et ses enjeux. J’aspire à mener une programmation où cette histoire de la forme se poursuivra, mais toujours en lien avec la question du sens. C’est un point très important pour moi et qui sous-tend le projet que j’ai imaginé pour cette institution.
-Il y a un peu plus d’un mois, un attentat a frappé Nice en laissant une blessure qui aura du mal à se refermer. Pensez-vous que le Mamac puisse avoir un rôle à jouer dans le travail de reconstruction ?
-Pas forcément dans l’illustration ou dans l’hommage direct, mais il est vrai que depuis « Charlie », tous les directeurs d’institutions sont amenés à se poser la question du sens de ce qu’ils font. Nous vivons dans une démocratie qui a longtemps eu un grand confort de liberté, de sécurité et, tout à coup, nous nous trouvons confrontés au drame, à l’arbitraire, à la négation de la vie, à la remise en question de notre modèle d’existence avec entre autres conséquences des problèmes d’incompréhension, de fermeture, de tensions auxquels nous n’étions pas préparés. Notre rôle, plus que jamais, est de résister par la culture et d’aller à contre-courant de tout cela. Mais cela veut aussi dire de penser le musée comme un lieu où on ne se contente pas d’accrocher des œuvres sur des murs, mais des lieux d’ouverture, où on échange, où on dialogue, où on n’est pas aveugle et sourd à ce qui se passe autour de nous. Et des lieux qui consolent. J’ai été frappée, lorsque le musée a réouvert, après les journées de deuil national, de voir l’affluence dans les salles, alors que je m’attendais à ce qu’il y ait peu de monde. En fait, je crois que les gens avaient besoin d’une valeur ressource, de se rassembler autour de ce territoire du commun et du sensible qu’est la culture, d’oublier l’horreur. Et à cela, je crois que l’art et le musée peuvent contribuer.
-La rétrospective Ernest Pignon-Ernest se tient jusqu’au 8 janvier au musée, de même que le Prototype improvisé de type « nuage » de Yona Friedman à la galerie des Ponchettes. L’exposition de Marco Godinho, Mondes nomades, a lieu jusqu’au 9 octobre à la galerie contemporaine. Mamac : place Yves Klein, galerie des Ponchettes : 77 quai des Etats-Unis, Nice (06)
Images : Portrait d’Hélène Guenin, photo C. Hall ; façade nord du Mamac, vue du jardin ; Marco Godinho : Navigation Instrument (Nord), Barre à mine, sel, racine d’arbre, Collection MUDAM Luxembourg 2012 © Marco Godinho. Forever Immigrant. Encre, tampon. Dimensions variables, 2012, Collection 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine, Vue d’exposition Frac Franche-Comté. © Marco Godinho.
Une Réponse pour Hélène Guenin veut faire résonner la collection
L’artiste dont il faut deviner le nom et qui a beaucoup travaillé sur la question de l’autodestruction ne serait-il pas Gustav Metzger?
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