Jean-Luc Verna, global et envoûtant
Enfin, a-t-on envie de dire, enfin une exposition en musée pour Jean-Luc Verna, cet artiste si singulier dans le paysage de la création française et dont il a déjà été question dans ces colonnes, à l’occasion de la sortie de sa monographie chez Flammarion, en 2014 (cf https://larepubliquedelart.com/jean-luc-verna-lentre-deux/). Car depuis 25 ans qu’il montre son travail, on avait souvent pu le voir en galeries (chez Air de Paris, sa galerie, ou ailleurs) ou sur scène (puisque l’artiste n’est pas seulement dessinateur, mais aussi chanteur, performeur, acteur pour les films de Brice Dellsperger), mais toujours de manière fragmentée, jamais dans une configuration qui fasse en sorte de rassembler toutes les disciplines. Et c’est justement ce à quoi parvient l’exposition rétrospective qui vient de s’ouvrir au Mac/Val de Vitry et qui s’intitule, comme toutes ses expositions précédentes : « Vous n’êtes pas un peu beaucoup maquillé ? –Non ». Elle montre Jean-Luc Verna dans tous ses états, avec toutes ses casquettes, et permet de bien comprendre que toutes les activités auxquelles il s’adonne ne sont pas des disciplines qui se superposent les unes aux autres, mais bien les mêmes branches d’un arbre riche de mille fruits et de mille séductions, arbre que l’on pourrait qualifier, à l’image du modèle wagnérien, d’« œuvre d’art totale ».
Pour accéder à l’espace d’exposition lui-même, on emprunte d’abord un couloir sur les murs duquel sont affichés des photos de l’artiste et des textes de chansons qui lui sont chères (celles, entre autres, de Barbara, Nico, Blondie, Diamanda Galas et bien sûr Siouxsie Sioux, qui a déterminé sa carrière et qui est omniprésente dans son œuvre). Puis on entre dans la grande salle du rez-de-chaussée du Mac/Val où les murs ont été recouverts de peinture noire pailletée et où règne un éclairage crépusculaire, sorte de prélude à l’extase, qui indique le passage dans un autre monde. Au centre, une scène a été dressée de part et d’autre d’un rideau, où l’on s’attend à tous moments à voir surgir le chanteur, mais qui reste en attente, même si, d’un côté, une sorte de personnage, composé d’une longue robe noire en plumes et d’une tête en forme de plug anal, se tient debout. Tout autour, des vitrines contenant les éditions, mais aussi les bijoux, cockrings en verre ou vases que Jean-Luc Verna a réalisés tout au long de sa carrière. Dans un module, des captations de spectacles, dont ceux de Gisèle Vienne, dans lesquels il intervient en tant que danseur et performeur, ou les films dans lesquels il joue tous les rôles, à la fois masculins et féminins. Sur un des côtés, un immense slide-show qui montre toutes les photos que l’artiste a faites de lui nu, dans des poses qui relèvent autant de l’histoire de l’art que de la culture rock. Et sur les murs, enfin, dans un accrochage serré, tous les dessins qui sont quand même la colonne vertébrale de son œuvre et qui sont, rappelons-le, des transferts sur papiers anciens qu’il rehausse de fard et de crayon.
L’intelligence de l’exposition (le commissaire en est Frank Lamy) est, on l’a déjà souligné, de mettre en lien toutes les activités que pratique Jean-Luc Verna, mais aussi de voir comment elles agissent à l’intérieur de l’œuvre. Et de comprendre comment elles se nourrissent l’une l’autre. Le centre, c’est la scène, le théâtre, le travestissement, cet univers de mise à distance et de transformation dont l’artiste, pour des raisons en partie personnelles, a besoin et qu’il a fait subir jusqu’à sa propre silhouette (il est passé d’un corps malingre et lisse et à une stature massive et bodybuildée, recouverte de tatouages des pieds à la tête).Tout autour ce sont les avatars, les costumes, les accessoires qui lui sont nécessaire pour jouer son rôle et endosser toutes ces personnalités multiples – surtout genre méchantes hystériques- dont il se délecte (on peut aussi voir les clips dans lesquels il interprète les chansons qu’il a écrites avec son groupe, I Apologize, et dans lequel il joue là-aussi des personnages assez déjantés). Aux murs enfin, ce sont les dessins, qui soutiennent l’édifice et qui est sans doute le lieu où se contractent et se cristallisent toutes les influences, les désirs, les aspirations.
Et puis il règne une atmosphère unique dans cette exposition. Une atmosphère baroque, carnavalesque (certaines œuvres font penser à James Ensor), délibérément queer, où le précieux, l’exquis côtoie le grotesque et le mauvais goût (voire le moulage des parties génitales présenté sur un plateau), où le tragique s’efface à coups de rires sardoniques. Une atmosphère gothique, où le noir est prédominant, où le cuir luit et où le kitsch n’est pas absent. Mais une atmosphère romantique aussi. Car dans mon énumération des éléments qui composent l’exposition, j’ai oublié de préciser que trônaient, en hauteur, les « Paramour », ces détournements du sigle « Paramount » que l’artiste entoure de multiples ampoules allumées comme dans les loges de théâtre et de cinéma, et qu’il décline en « Paramort » ou « Puramour ». Histoire de rappeler que la seule finalité de tout cela, au-delà de l’illusion, est d’aimer et de se faire aimer.
-Jean-Luc Verna, Vous n’êtes pas un peu beaucoup maquillé ? –Non, Rétrospective, jusqu’au 26 février 2017 au Mac/Val, Musée d’art contemporain du Val-de-Marne, Place de la Libération, Vitry-sur-Seine (www.macval.). Un très beau catalogue reproduisant les œuvres de l’exposition, avec des textes de, entre autres, Emmanuelle Lequeux, Claude-Hubert Tatot et Valérie Da Costa (328 pages, 25 €) paraît simultanément aux éditions du Musée.
Images : Jean-Luc Verna, Paramour, 2011, Transfert sur bois vernissé, guirlandes lumineuses, 80 ampoules de couleur, diamètre 265 cm. Photo © Marc Domage. Courtesy Air de Paris, Paris ; Nul, 2016. Transfert sur papier rehaussé de crayons et de fards, 15,5 x 15,5 cm. Photo © Aurélien Mole. Courtesy Air de Paris, Paris ; Baguette magique, 2013. Acier inoxydable, 550 x 170 cm (tube diamètre 22 cm). Photo © Paul Chevallier.
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