Le Bauhaus est toujours vivant
Ce mois d’octobre qui s’achève aura été particulièrement riche en expositions de toutes sortes, qui ont voulu faire coïncider leur ouverture avec la période de la Fiac, pendant laquelle Paris redevient le centre du monde de l’art. Parmi elles, bien sûr, la fabuleuse collection Chtchoukine à la Fondation Vuitton dont il a été beaucoup question dans la presse et qui attire un public immense. Mais il est une autre exposition dont on a peut-être un peu moins parlé, alors qu’elle est une des plus excitantes que l’on puisse voir en ce moment dans la capitale : L’Esprit du Bauhaus, au Musée des Arts Décoratifs, qui rassemble plus de 900 œuvres, objets, mobilier, textiles, dessins, maquettes, etc., et qui permet ainsi de mesurer la richesse et l’importance de ce mouvement/école qui est un des fondements de l’art du XXe siècle. Car le Bauhaus (contraction de « bauen » construire et de « Haus » maison), fondé en 1919 à Weimar par l’architecte Walter Gropius – dans le contexte donc très spécifique de cette « République de Weimar » -, a marqué de manière indélébile l’esthétique et la manière d’appréhender l’art du siècle précédent.
Au départ, c’était une école d’enseignement artistique dont le but était de rendre vie à l’habitat par la synthèse des arts plastiques, de l’artisanat et de l’industrie (« Architectes, sculpteurs, peintres, tous nous devons retourner à l’artisanat », écrivait Gropius dans le manifeste du mouvement). Des artistes aussi importants que Klee et Kandinsky y ont enseigné. Elle prônait une simplification des formes issue du constructivisme, ancrait sa démarche dans des préoccupations souvent spirituelles et, même si elle n’a jamais soutenu un parti politique précis, s‘inscrivait dans l’idée de progrès et de socialisme. C’est cette modernité jugée subversive qui incita les nazis à la fermer lors de leur arrivée au pouvoir en 1933. Dès lors, les artistes et les professeurs se dispersèrent un peu partout dans le monde, mais l’esprit du Bauhaus survécut, il donna naissance à des nombreuses autres créations et c’est ce que montre cette magnifique exposition.
(Photo supprimée)
Elle est construite de manière très claire et pédagogique par Anne Monnier et commence donc par les sources et inspirations. Car le Bauhaus n’est pas né de rien et, en tête de son manifeste du mouvement, Walter Gropius reproduit une gravure du peintre cubiste Lyonel Feininger, qui figure une cathédrale gothique. C’est l’idée d’un retour au Moyen-Age, avec ses corporations d’artisans et son système de transmission, mais aussi celle de la « Gesamtkunstwerk » (œuvre d’art totale) wagnérienne, dont l’expression la plus éloquente est sans doute Les Maîtres-chanteurs de Nuremberg. Puis vient l’influence des arts asiatiques, qui ont été beaucoup montrés en Europe dans la seconde moitié du XIXe siècle. Aucune des figures marquantes du Bauhaus n’a revendiqué une filiation avec cette forme d’art dans ses écrits, mais on ne peut nier une similitude formelle entre la simplicité de l’art japonais, par exemple, et la sobriété, l’élégance et la légèreté de certains objets produits à l’époque par l’Art nouveau viennois et, plus tard, par les artistes du Bauhaus eux-mêmes. Puis on passe à l’école à proprement-parler, et aux différentes sections. Une première, dite « cours préliminaire », est commune à tous les étudiants et vise à briser les idées académiques. Puis selon que l’on est un homme ou une femme, on a le droit de choisir une spécialité. Les femmes, toutefois (c’est la limite à l’ouverture d’esprit), seront quasiment toujours dirigées vers l’atelier textile. Mais les hommes pourront choisir entre le métal, la menuiserie, la céramique, la peinture murale, la sculpture, l’imprimerie et la reliure, etc., etc.
Ce sont tous les objets produits dans ces ateliers que montre la foisonnante exposition. On passe de vases, de lampes, de théières à des sculptures, photographies, maquettes d’architecture ou mobilier en tous genres. Et ils émanent aussi bien des étudiants que des professeurs eux-mêmes, qui ont fait l’histoire de l’art du siècle dernier. Car outre Klee et Kandinsky, ce sont Joseph Albers, László Moholy Nagy pour la pédagogie, Oskar Schlemmer pour le théâtre, Herbert Bayer pour le graphisme ou encore Mies van der Rohe pour l’architecture qui sont passés par le Bauhaus. Et le mérite de cette exposition, réalisée avec le concours de la Fondation d’entreprise Hermès (la première depuis les années 70 à Paris sur le sujet), est aussi de montrer que tout ne fut pas toujours idyllique au sein de l’école, que différentes tendances s’y affrontèrent et que, après sa dissolution, tous ne furent pas les bâtisseurs glorieux, inspirés et politiquement irréprochables que l’on a pu louer par la suite : c’est ainsi que certains architectes issus du Bauhaus ont participé à la conception des camps de concentration nazis.
Enfin, l’autre grand mérite est d’avoir ouvert une section contemporaine sur l’héritage du Bauhaus et d’en avoir confié le commissariat à l’artiste Mathieu Mercier. Il a très intelligemment réuni une cinquantaine d’artistes qui ont pour point commun d’avoir plus ou moins tous vécu à Berlin dans les années 90, de s’être inspirés des formes du mouvement et d’être en lien, de manière plus ou moins régulière, avec des étudiants. Surtout, ils ont pu profiter du « décloisonnement disciplinaire qu’il (le Bauhaus) a opéré et de la porosité qu’il a insufflée entre les différentes catégories d’objets ». Ainsi, on peut voir une sculpture de Saâdane Afif constituée de maquettes d’enceintes acoustiques qui finissent par former une construction moderniste (Babel (Syndikate), 2007), une sculpture murale de Wilfrid Almendra qui ressemble à une devanture d’immeuble (Model Home, Sonata IV), une autre de Raphaël Zarka qui renvoie aux lignes épurées et à l’atelier de menuiserie (Maquette de la « Colonne Prismatique n°3 », 2016) ou encore un incroyable masque de Martin Boyce qui reprend les couleurs primaires chères à Kandinsky (Looking in No Eyes, 2007), bref, autant d’œuvres qui évoquent une sorte de bricolage artisanale et prouvent que l’esprit du Bauhaus n’est pas mort, qu’il continuera longtemps à inspirer les artistes de tous temps.
–L’esprit du Bauhaus, jusqu’au 26 février 2017 au Musée des Arts décoratifs, 107 rue de Rivoli, 75001 Paris (www.lesartsdecoratifs.fr). Un très beau catalogue qui reprend fidèlement les différentes sections de l’exposition et reproduit de nombreux visuels est publié parallèlement (260 pages, 39 euros, coédition Les Arts décoratifs-Fondation d’entreprise Hermès).
Images :Erich Consemüller, Scène du Bauhaus : inconnue au masque dans un fauteuil tubulaire de Marcel Breuer portant un masque de Oskar Schlemmer, 1926 Photographie © Bauhaus-‐‑Archiv Berlin ; Exercice d’élève du Bauhaus–‐‑Dessau/Berlin, 1926–‐‑1933 Centre Pompidou, Paris © The Josef and Anni Albers Foundation / ADAGP / Centre Pompidou, MNAM–‐‑CCI, Dist. RMN–‐‑Grand Palais / Jacques Faujour ; Saâdane Afif, Babel (Syndikate), 2007 Carton peint, plexiglas Courtesy de l’artiste
4 Réponses pour Le Bauhaus est toujours vivant
Beau texte, belles illustrations! QUOI d’autre?Rien d’autre, juste l’A-c-t-e-/q-u-o-i°!°°) . final????
Je viens de visiter l’exposition : « L’esprit du Bauhaus » au musée des Arts décoratifs. Pas loin de la fin du parcours, un grand diagramme intitulé « L’héritage du Bauhaus » montre le monde, sur lequel sont affichés des lieux (la plupart du temps des grandes villes) où des évènements liés au Bauhaus ont eu lieu (par exemple : New York 1938, exposition au MoMa, ou bien : Stuttgart 1968, exposition « 50 ans de Bauhaus »), où des anciens du Bauhaus sont intervenus (par exemple : Paris 1953, siège de l’UNESCO par Marcel Breuer), etc. Mais à ma stupéfaction, on y voit aussi : « Auschwitz 1940, Fritz Ertl participe à la conception du camp de concentration ».
Que ce personnage ait été un nazi et même un officier SS, tout en ayant la qualité d’ancien du Bauhaus, c’est surprenant, alors que le très grande majorité de ces anciens étaient des anti-nazis convaincus, l’histoire du Bauhaus le montre avec évidence. Mais que les responsables de l’exposition aient osé faire figurer Auschwitz parmi les lieux témoignant de « l’héritage du Bauhaus » est une véritable monstruosité, qu’ils aient qualifié implicitement « la conception du camp de concentration » comme une oeuvre qui est à mettre au crédit de l’enseignement et de l’esprit du Bauhaus, cela est un outrage à la mémoire des professeurs et des élèves (et parmi ces derniers, mon père) qui ont justement fait la réputation de cette grande institution.
Michel Weinfeld
Je comprends qu’on puisse être choqué de voir figurer Auschwitz parmi les lieux témoignant de « l’héritage du Bauhaus » (c’est pour le moins maladroit), mais les responsables de l’exposition ne pouvaient pas passer sous silence le fait qu’un ancien élève du Bauhaus ait participé à la conception d’un camp de concentration.
je ne savais pas ,ma mère non plus,que le numéro gravé75942 était celui de sa chambre;je salue le commentaire de mr weinfeld.
4
commentaires