de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Le palais fantôme de Philippe Parreno

Le palais fantôme de Philippe Parreno

Récemment, je vous ai parlé de la fascinante exposition de Pierre Huyghe qui se tient actuellement au Centre Pompidou (cf http://larepubliquedelart.com/pierre-huyghe-ou-le-monde-en-soi/) et que j’ai qualifiée « d’exposition en soi ». Le hasard ( ?) de la programmation fait que vient de s’ouvrir au Palais de Tokyo une exposition de Philippe Parreno, qui est de la même génération que Pierre Huyghe (ils ont deux ans d’écart) et dont il a toujours été très proche (ils sont tous les deux à l’origine du projet Annlee, cette figure de manga japonaise dont ils avaient racheté les droits). Mais alors que Pierre Huyghe se voit cantonner dans la galerie Sud du Centre Pompidou, un espace un peu restreint qui l’oblige à confronter ses œuvres les unes aux autres (ce qui, d’ailleurs, lui est plutôt bénéfique), Philippe Parreno, lui, s’offre l’intégralité des espaces agrandis du Palais de Tokyo. Une démesure qui pourrait être fatale à un artiste moins expérimenté (et qui l’a été pour Loris Gréaud, par exemple, dans l’ancienne configuration du Palais), mais dont ce maître de l’exposition, de l’acte même de montrer, se sort avec brio.

Ce qui frappe, pour en revenir à Pierre Huyghe, c’est la similarité de conception des deux expositions, organisées à partir d’un principe fédérateur. Chez Pierre Huyghe, c’est l’écosystème  composé d’organismes vivants qui peu à peu colonisent la matière qui forme le cœur de l’exposition et lui donne son autonomie. Ici, c’est d’abord une programmation musicale : au cœur du Palais de Tokyo est installée une sorte de studio à partir duquel est diffusée, sur quatre pianos disklaviers (des pianos qui enregistrent le mouvement sur les touches), la version pour piano à quatre mains du Petrouchka de Stravinsky interprétée par Mikhail Rudy. Cette musique constitue non seulement le cœur de l’exposition, son pouls, puisqu’elle la rythme en actionnant et déclenchant les différents éléments qui la jalonnent, mais en révèle aussi l’image dans le tapis : Petrouchka, dans le ballet de Stravinsky, est une marionnette, mais qui éprouve des sentiments humains, à tel point qu’on ne sait plus trop, au bout du compte, si elle est vraiment vivante ou si ce n’est qu’une figurine en bois. Or, des marionnettes – ou des figures fictives dont on ne sait plus très bien à quel registre elles appartiennent  -, il y en a foule dans le travail de Philippe Parreno. C’est donc à la découverte de ces apparitions fantomatiques, personnages virtuels, que nous convie le plasticien.

PdT-Philippe Parreno-124Il le fait sous la forme d’une déambulation, d’un parcours qui se déploie dans tous les espaces du Palais de Tokyo, mais d’un Palais de Tokyo transformé, redessiné (avec l’aide du « set designer » Randall Peacock), où certaines installations pérennes, comme celle, très colorée, d’Ulla von Brandenburg, ont été masquées, de manière à ne pas distraire l’œil du rêve éveillé dans lequel nous sommes plongés. Et au cours de ce parcours, on va être confronté à un certain nombre d’œuvres anciennes de Philippe Parreno, mais qui, dans ce contexte, vont prendre une dimension nouvelle (de la même manière que les œuvres de Pierre Huyghe en étant confrontées les unes aux autres devenaient presque des pièces nouvelles) : des vidéos, dont la fameuse Marylin, dans laquelle on voit la célèbre actrice écrire dans la chambre de l’Hôtel Waldorf Astoria de New York qu’elle occupa dans les années 50 (mais on réalise à la fin que c’est un ordinateur qui reconstitue la prosodie de sa voix et un robot qui recrée son écriture) et Anywhere Out of the World (Annlee) ; des affiches phosphorescentes (fantômes de projets passés), qui ont besoin d’être exposées à la lumière pour apparaître, ensuite, dans le noir ; une piste de dance vide, mais sur laquelle on entend les pas des danseurs fantômes de la troupe de Merce Cunningham (l’an passé Philippe Parreno a organisé une exposition à Philhadelphie autour des liens entre John Cage, Merce Cunningham, Jasper Johns, Robert Rauschenberg et Marcel Duchamp et il y renvoie dans l’exposition). En fait, dès l’entrée de l’exposition, l’artiste expose son parti-pris en plaçant l’espace d’accueil devant un mur lumineux qui fait que le personnel du Palais de Tokyo apparait en contre-jour, comme une présence fantomatique.  Et au-dessus des marches du Centre d’art, clignote une Marquee, c’est-à-dire un auvent lumineux comme ceux que l’on trouve devant certains théâtres ou certains cinémas (surtout aux Etats-Unis). Car c’est bien au spectacle que nous invite Parreno, un spectacle d’ombre et de lumière, d’apparitions et de disparitions, une sorte de grand train-fantôme.

Mais fidèle à sa pratique de collaborations, l’artiste a aussi  invité certains de ses amis avec lesquels il a déjà travaillé. Ainsi, Liam Gillick est présent avec Factories in the snow, une pièce qui sert de marqueur temporel et permet de fractionner l’exposition en séquences ; Dominique Gonzalez-Foerster avec une Bibliothèque clandestine, qui, comme dans une histoire à la Harry Potter, cache une pièce secrète ; Douglas Gordon avec Zidane, le film réalisé sur le célèbre footballeur, et  Pierre Huyghe avec le projet « Annlee ». Devant celui-ci, Tina Sehgal a imaginé une étonnante performance : dès que la vidéo se termine, une petite fille surgit devant l’écran et « incarne » en quelque sorte Annlee, la figure de manga abandonnée. Puis elle interpelle le spectateur en lui posant des questions. Ainsi passe-t-on d’une figure animée dont personne ne veut plus à une petite fille en chair et en os qui dialogue avec le spectateur… On ne saurait être plus proche de l’automate Petrouchka qui se rapproche progressivement de la réalité humaine.

Ainsi va l’exposition de Philippe Parreno d’apparitions en surprises, d’illusions en faux-semblants, de choses que l’on croit avoir déjà vues mais qui reviennent ailleurs sous une autre forme. On peut trouver parfois qu’elle fait preuve de démesure ou qu’elle est obligée d’occuper l’espace et que certaines choses auraient peut-être gagné à être ramassées (la salle avec toutes les « marquees » était-elle bien nécessaire et fallait-il projeter le film Zidane sur dix-sept écrans, même s’il a été effectivement filmé en temps réel avec dix-sept caméras ?). On peut aussi s’irriter de certains tics, qui deviennent les clichés de l’art contemporain (pourquoi les cartels digitaux qui affichent le titre des œuvres et des textes ne sont-ils qu’en anglais, au mépris total du spectateur non-anglophone ?). Mais malgré ces remarques et ces petites réserves, on peut nier le plaisir qu’on a à s’engouffrer dans ce labyrinthe high teck, à y oublier ses repères, à y vivre une expérience à la fois mentale et physique. Au risque parfois de s’y perdre.

Anywhere, Anywhere Out Of The World, jusqu’au 1é janvier au Palais de Tokyo, 13 avenue du Président Wilson 75116 Paris (www.palaisdetokyo.com)

 

Images :

Vues de l’exposition de Philippe Parreno, « Anywhere, Anywhere, Out Of The World », Palais de Tokyo, 2013.
Philippe Parreno, The Writer, 2007.

 

 

 

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