de Patrick Scemama

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La République de l'Art
L’été de la Villa Noailles

L’été de la Villa Noailles

La Villa Noailles, c’est cette extraordinaire maison moderniste construite par Robert Mallet-Stevens dans les années 20 sur les hauteurs de Hyères, à la demande du célèbre couple de mécènes et collectionneurs, Charles et Marie-Laure de Noailles (cf http://larepubliquedelart.com/charles-et-marie-laure-de-noailles-pour-lamour-de-lart/). Ayant longtemps abrité les œuvres d’art les plus novatrices de l’époque, elle appartient désormais à la ville de Hyères et est devenue, sous l’impulsion de son dynamique directeur Jean-Pierre Blanc, un centre d’art réputé, qui accueille entre autres chaque année les festivals de la mode et du design.

Mais cette année, faute de Covid, les festivals n’ont pu avoir lieu. Et comme tant d’autres institutions en France et dans le monde, la Villa Noailles a dû fermer ses portes. Elle les rouvre désormais avec une programmation réalisée dans l’urgence, mais qui témoigne de la vitalité et de la créativité de l’endroit. En premier lieu, l’exposition permanente consacrée à Charles et Marie-Laure, qui fête ses dix ans, s’enrichit de nouvelles pièces, retrouvées pendant le confinement. C’est ainsi qu’aux côtés d’œuvres de Cocteau (un des grands amis du couple), Oscar Dominguez, Man Ray (qui réalisa un film sur la maison), Christian Bérard ou Dora Maar, c’est l’étonnant lit de Pierre Chareau qui a repris sa place dans la chambre du vicomte et des meubles d’Eileen Gray qui s’ajoutent à ceux de Breuer et de Djo-Bourgeois. Enfin, en prélude à une exposition qui se doit se tenir à la rentrée, plusieurs grands tirages de François-Marie Banier représentant les Noailles à la fin de leur vie sont présentés dans ce qu’il est convenu d’appeler le « salon Rose ».

Plus bas, dans les salles voutées, c’est une sélection de pièces des lauréats et finalistes du concours Design Parade Hyères qui est proposée. Créé en 2006 et parrainé lors sa première édition par Andrée Putman et les frères Bouroullec, ce concours a vu depuis 15 ans quelques 150 designers passer par la Villa et bénéficier pour certains d’une résidence et d’une exposition personnelle. Là, ce sont des pièces récentes ou emblématiques de, entre autres, Pauline Deltour, Mathieu Peyroulet, Samy Rio ou Arthur Hoffner qui sont montrées dans une scénographie de Kim Haddou et Florent Dufroucq. Un tour d’horizon prospectif chez les designers les plus prometteurs du moment, tout à fait dans l’esprit du couple de mécènes qui fit appel aux plus grands créateurs de leur temps pour meubler la maison.

Mais la Villa Noailles ne voulait pas laisser passer la période si étrange qui vient de s’écouler (et dont nous ne sommes hélas pas encore complètement sortis) sans en témoigner. C’est ainsi qu’elle a demandé à des artistes proches ou qui y ont déjà exposé de présenter des images de soignants ou de toute ces personnes qui ont été en première ligne pendant la pandémie, images réalisées Hyères, Marseille ou Paris. Ce sont donc des photos, mais aussi des dessins, des broderies ou des peintures de ces « Héros, Héroïnes » (c’est le titre de l’exposition), vus par une vingtaine d’artistes qui ont redonné ses lettres de noblesse au genre du portrait et dressé un émouvant état des lieux de ce monde entre parenthèses. Enfin, fidèle à sa tradition, la Villa, qui vient d’ouvrir en centre-ville, un nouvel espace, L’Annexe, qui se veut un lieu d’accueil du public et de médiation, a donné carte blanche à de jeunes artistes pour qu’ils investissent les multiples recoins du domaine : Sara Favriau, dont on avait déjà pu voir le travail au Palais de Tokyo, a trouvé refuge dans le Pigeonnier, où elle est intervenue sur la morphologie de l’arbre, qu’elle transforme en monument, et Antoine Carbone a laissé vagabonder son pinceau sur les murs de la piscine, du squash et du gymnase, créant des fresques qui rendent hommage à la vie des Noailles et de leurs amis, mais comme brulés par le soleil et par le temps qui passe.

Mais la Villa Noailles ne se contente pas de fourmiller d’imagination en ses murs, elle organise aussi des expositions dans différents lieux de Toulon, la ville voisine. Le parcours s‘ouvre cette année par une présentation d’œuvres, à la Galerie du Canon, qui témoignent du bouillonnement artistique à l’époque de la reconstruction du port de la ville, durement touchée par les bombardements. Les grands architectes (Jean de Mailly et Alfred Henry notamment) et designers (dont Charlotte Perriand) de l’après-guerre redessinèrent la silhouette de la rade selon les principes du modernisme et ce sont des photos de chantiers par Willy Maywald, tout comme des vues contemporaines, qui en font état.

Un peu plus loin, à l’Hôtel des arts, le photographe François Halard revient aussi sur quelques-uns des bâtiments représentatifs de cette période. Mais il s’attarde aussi sur la construction de l’exceptionnelle villa E-1027 d’Eileen Gray à Roquebrune-Cap Martin, qui a marqué de manière décisive l’histoire des arts décoratifs (cf http://larepubliquedelart.com/eileen-gray-ou-lelegance-moderniste/).

La façade de l’Hôtel des arts, elle, a été entièrement « relookée » par Alexandre Benjamin Navet, un artiste-designer qui est un collaborateur régulier d’Hermès et de Van Cleef & Arpels et qui a aussi redécoré la Rue des Arts et la Cour de l’Ancien Evêché en s’inspirant des couleurs vives de la Méditerranée et de l’art de vivre toulonnais. Dans cette dernière, Benoit Maire montre enfin l’étonnante collection de chaises, les « Chaises du soir », qu’il a réalisées avec l’éditeur de multiples We Do Not Work Alone. Un programme festif, riche, original, et qui se fait bien sûr dans le respect absolu des gestes barrières et des règles sanitaires.
-A Hyères, expositions jusqu’au 30 août ; à Toulon, jusqu’au 31 octobre. Villa Noailles(www.villanoailles-hyeres.com)

Images : François-Marie Banier, Marie-Laure de Noailles, Hyères, c-print, 270×180 cm, septembre 1969 ; Arthur Hoffner, Fontaine, Porcelaine et grès de Sèvres, laiton, marbre, 2018 ; Adrien Pelletier, Albert Ahmed, Infirmer, hôpital Saint-Antoine, Paris, 2020 ; François Halard, Photographie de la villa E-1027 des architectes Jean Badovici et Eileen Gray

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