Une scène venue du froid
Installée dans l’ancienne et magnifique agence d’architecture de Robert Mallet-Stevens, dans le XVIe arrondissement à Paris, la Fondation Hippocrène, présidée par Michèle Guyot-Roze, fille de Jean Guyot1, a pour but de mettre en lumière la richesse et la diversité culturelle en Europe. Depuis 2002, donc, elle organise des expositions intitulées « Propos d’Europe » et, depuis 2013, elle collabore plus spécifiquement avec un certain nombre de fondations ou centres d’art européens, parmi les meilleurs. C’est ainsi qu’en 2013, elle a accueilli l’exposition de la Fondation Giuliani de Rome (Despite our Differencies), en 2014, celle de la David Roberts Arts Fondation de Londres (Le Musée d’une nuit, cf https://larepubliquedelart.com/trace-du-modernisme-la-fondation-hippocrene/) et, en 2015, celle de la Fondation Haubrok de Berlin (Thoughts that Breathe). Cette année, elle invite la Kaviar Factory pour une exposition dont le titre évoque bien le projet initial : Expanding Frontiers.
La Kaviar Factory est un centre d’art installé, comme son nom l’indique, dans une ancienne fabrique de caviar, qui a été ouvert en 2012, au milieu des îles Lofoten, c’est-à-dire à l’extrême nord de la Norvège. Elle est la propriété d’un couple de collectionneurs, Venke et Rolf Hoff, qui accumule les œuvres d’art depuis plus de trente ans, mais avec une simplicité et un naturel qui les rendent bien plus accessibles que certains collectionneurs puissants. Car, précisent-ils, « nous ne nous sommes jamais vraiment définis comme des collectionneurs, même lorsque les murs de notre appartement étaient intégralement recouverts de créations diverses. (…) La plupart de nos œuvres sont le fruit de jeunes talents inconnus ou ayant fait leurs débuts dans l’anonymat. Nous n’avons jamais fait appel à ces conseillers et ce n’est pas dans nos intentions. Notre source de motivation ? La chasse aux nouveautés et la sensation d’euphorie à chaque découverte. Beaucoup nous voient comme des passionnés, terme qui nous décrit probablement le mieux. »
La Kaviar Factory, qui organise une exposition par an et qui contribue à enrichir l’offre culturelle d’une région qui en manque beaucoup, privilégie les artistes nordiques, mais pas seulement si on consulte les catalogues des manifestations précédemment organisées dans le lieu (actuellement, par exemple, on peut y voir une exposition consacrée aux artistes femmes de 22 pays avec des œuvres, entre autres, de Marina Abramovic, de Roni Horn ou de Marguerite Humeau, une artiste que Venke et Rolf Hoff ont achetée bien avant sa récente exposition au Palais de Tokyo). Aujourd’hui, elle compte environ 800 œuvres d’à peu près 250 à 300 artistes du monde entier et ne cesse de croître régulièrement. Pourtant, pour l’exposition qui est proposée à Paris et qui n’est qu’une toute petite parcelle de leur collection, on a demandé au couple de « passionnés » de montrer surtout les artistes nordiques, car c’est une scène artistique que l’on ne connaît pas toujours très bien en France. Et c’est justement ce qui rend cette présentation si intéressante : le fait qu’on découvre tout un ensemble d’artistes qui, en dehors de certains dont on a déjà pu voir le travail en galeries (Bjarne Melgaard, Borre Sæthre, Gardar Eide Einarsson, surtout), sont pour nous de parfaits inconnus.
C’est ainsi qu’on découvre qu’on découvre l’œuvre de Mikael Brkic, un jeune artiste norvégien qui utilise des objets trouvés sans valeur (par exemple des tasses à café) pour les intégrer dans des pièces hybrides, qui tiennent autant de la peinture, de la sculpture que de l’installation. Ou celle de Yngve Holen, dont la pratique sculpturale se nourrit de matériaux industriels contemporains et qui, dans ses installations, explore le concept de « post-humain ». Ou celle de Kristian Skylstad, un jeune artiste, galeriste et critique d’art norvégien dont les travaux interrogent le thème de l’individu aux prises avec la réalité du monde contemporain. Ou encore celle, humoristique, de Anders Smebye, qui joue sur la décadence culturelle de notre société. Bon nombre de ces œuvres relève plutôt de l’art conceptuel, tous les médiums y sont représentés (une vidéo très explicite de Knut Asdam, Pissing, se trouve même au coeur de la salle principale) et l’accrochage fait alterner avec bonheur différentes approches. Il ne donc pas hésiter à se rendre dans ce temple du modernisme pour découvrir cette riche et stimulante scène venue du froid, d’autant que l’entrée en est gratuite.
1 Grand banquier qui a eu une influence considérable en France tout au long de la seconde moitié du XXe siècle et à qui Allessandro Giacone a récemment consacré une biographie, Jean Guyot, un financier humaniste (CNRS Edititions)
–Expanding Frontiers, jusqu’au 3 décembre à la Fondation Hippocrène, 12 rue Mallet-Stevens 75016 Paris (www.fondationhippocrene.eu)
Images : Propos d’Europe 15, Expanding Frontiers, Vues d’exposition, Fondation Hippocrène, 29 septembre – 3 décembre 2016 Photo : Aurélie Cenno, Courtesy Fondation Hippocrène
Une Réponse pour Une scène venue du froid
Je confirme: une expo où tout n’est pas de la même qualité, mais qui a au moins le mérite de la nouveauté.
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