de Patrick Scemama

en savoir plus

La République de l'Art
2023 s’achève et des galeries ferment

2023 s’achève et des galeries ferment

2023 s’achève et il est temps d’établir des bilans, de faire le compte de ce que l’année a laissé de meilleur. C’est un exercice un peu obligé, mais qui permet de faire un tri, de voir ce que la mémoire garde et ce qu’elle fait passer aux oubliettes. Comme toutes les autres années, 2023 a eu son lot de flops, mais aussi d’artistes marquants, de bonnes expositions,. Parmi elles, on pourrait citer :

-à Paris, le parcours sans faute de la Pinault Collection avec ses présentations rigoureuses et ses œuvres de grande qualité (Avant l’orage avec les installations de Danh Vō, puis de Tacita Dean, Mythologies américaines avec la grande rétrospective Mike Kelley, l’étonnante exposition Lee Lozano et celle, magnifique, de Mira Schor), la troublante et sensuelle exposition de Laura Lamiel cet été, au Palais de Tokyo, le très productif dialogue entre Anthony Gormley et Rodin au musée du même nom, ou encore la superbe découverte -pour moi-, au Pavillon Carré de Baudoin, de l’artiste franco-palestinien Taysir Batniji, qui vient malheureusement de perdre une partie de sa famille dans un bombardement à Gaza. Et d’autres découvertes, comme celles d’Armineh Negahdari chez Marcelle Alix ou Elizabeth Jaeger qui va jusque dans les recoins de la galerie Mennour pour faire surgir ses animaux en céramique.

-en province, Anthony Cudahy qui faisait une « conversation » avec les œuvres des réserves du Musée de Dole, Edgar Sarin qui met les voiles au Grand Café de Saint-Nazaire ou encore Elmgreen & Dragset qui proposent une bluffante et immersive installation au Centre Pompidou-Metz (tous les comptes-rendus de ces expositions sont en ligne sur le site).

-à l’étranger, le magistral parcours d’Ugo Rondinone au Musée d’art et d’histoire de Genève, qui revisitait Hodler et Vallotton, l’exposition vivifiante de Marina Abramović à la Royal Academy of Arts de Londres (avec la réactivation de nombre de ses performances) ou le très contemplatif déploiement dans l’espace d’Ann Veronica Janssens au Pirelli HangarBicocca de Milan.

Mais 2023 aura aussi été l’année de la fermeture de deux galeries importantes qui ont marqué leur époque : la Zeno X gallery d’Anvers et gb agency. La Zeno X Gallery avait été fondée en 1981 par Frank et Eliane Demaegd. Rapidement, elle s’était imposée comme une incontournable galerie de peinture avec des artistes tels que Luc Tuymans, qui est resté à Anvers par amitié pour ses galeristes, Marlene Dumas et Michaël Borremans et de sculpture, avec rien moins que Mark Manders, et a trouvé sa place sur la scène internationale. Et c’est elle qui représentait Cristof Yvoré, ce peintre marseillais dont il a si souvent été question dans ces colonnes, et qui avait été découvert par hasard, lors d’un voyage d’étudiants en Belgique. Il semblerait que ce ne soit pas pour des raisons économiques que ferme la galerie, mais plus parce que la pression devient trop forte pour des entreprises de la sorte qui, malgré, les artistes stars qu’elle affiche, restent à taille humaine. On ne se fait pas de souci pour la plupart de ceux qui sont déjà représentés par de puissantes galeries (Tuymans, Borremans et Marlene Dumas sont chez David Zwirner), mais on peut craindre que tout le travail effectué sur l’estate de Cristof Yvoré ne soit pas poursuivi, ce qui serait vraiment très triste et dommageable.

L’autre fermeture concerne gb agency, cette galerie dont on a suivi le programme avec tant d’attention depuis tant d’années. Elle a fermé ses portes le 23 décembre 2023, après 23 années d’existence. C’est en 2001 que Solène Guillier, qui avait travaillé avec Yvon Lambert, et Nathalie Boutin, qui venait de chez Almine Rech, décident de se lancer dans l’aventure. C’est un peu un choix par défaut, parce qu’elles n’ont pas de fortune personnelle qui leur permettrait de financer un centre d’art ou une institution qu’elles optent pour la galerie. D’ailleurs, elles ne veulent pas l’appeler « galerie », mais « agency », comme pour signifier que ce n’est pas le commerce qui les intéresse en premier lieu, qu’elles veulent avant tout se situer sur un terrain d’éthique et d’exigence (ce qui n’ira pas, parfois, sans engendrer quelques malentendus). Les débuts sont précautionneux : elles partagent un espace avec Fabienne Leclerc rue Duchefdelaville dans le 13e , à côté de la rue Louise Weiss où viennent de s’installer les galeries les plus pointues de la capitale, grâce aux conditions avantageuses que leur offre Jacques Toubon, alors maire de l’arrondissement. Trois ou quatre expositions par an, tel est le rythme qu’elles s’imposent et qui leur permet de voyager, de réfléchir, d’approfondir leur projet. Celui-ci est de mélanger les nationalités et les générations : aux artistes des Pays de l’Est qu’elles affectionnent et qu’on a découvert depuis la chute du Mur (Julius Koller, Jiri Kovanda, Deimantas Narkevicius), elles ajoutent de jeunes pousses telles que la merveilleuse Elina Brotherus qui expérimente son apprentissage du français ou Dominique Petigand qui se livre à ses explorations sonores.
Après plusieurs années de cette existence, la galerie déménage dans un local à elles-toutes seules rue Louise Weiss, qui vient d’être laissé vacant par Perrotin. Là, Solène Guillier et Nathalie  Boutin accélèrent le rythme avec des expositions marquantes de Roman Ondak ou de Ryan Gander, qui vient de faire son apparition dans la liste d’artistes. Et elles savent aussi s’entourer d’assistants qui deviendront bientôt des figures importantes du milieu de l’art comme Yoann Gourmel, qui est aujourd’hui curateur au Palais de Tokyo et Elodie Royer qui est désormais conseillère pour la Fondation Kadist. Elles leur proposent d’organiser une exposition, mais ils préfèrent se replier sur une vitrine du lieu de stockage où, pendant 220 Jours (c’est le titre de l’exposition), ils vont montrer des artistes qui sont représentatifs de leur génération et qui sont maintenant totalement reconnus comme Isabelle Cornaro, Benoit Maire ou Raphaël Zarka. Car la force de gb agency est aussi de fédérer, d’être à l’écoute, d’être un lieu où les artistes trouvent considération et respect (un d’entre eux me disait que lorsqu’il a compris qu’il ne serait pas représenté par la galerie, il pensait ne jamais pouvoir collaborer avec une autre). Et une autre force est aussi d’accueillir le public, de lui parler, de lui expliquer, pas de le regarder de haut comme dans beaucoup de galeries à l’époque (et hélas encore aujourd’hui).

Lorsque les galeries commencent à quitter la rue Louise Weiss, gb agency rejoint le Marais où elle s’installe dans un magnifique et imposant espace de la rue des 4 Fils. Mais il n’est pas question pour autant d’infléchir la programmation et elle reste fidèle à sa ligne conceptuelle, même si elle s’ouvre désormais davantage à la peinture (le peintre grec Apostolos Georgiou rejoint la galerie et la dernière exposition est consacrée à la jeune peintre d’origine géorgienne, Elené Shatberashvili). Pas plus qu’il n’est question de travailler avec un trop grand nombre d’artistes, au risque de se disperser. Fin décembre, toutefois, sur son compte Instagram, tombe un message qui annonce la fermeture. Même si la rumeur courrait depuis plusieurs mois et qu’on sentait que quelque chose s’était enrayé dans la mécanique, on ne peut qu’être triste. « C’est notre décision personnelle, est-il écrit, d’imaginer un autre modèle sous d’autres formes ». Et plus loin : « Le futur est avant tout à inventer avec passion et engagement, pour dessiner les contours mouvants d’un monde en profonde mutation ». On peut donc imaginer qu’il ne s’agit pas d’une fin définitive, mais d’une mutation dans l’histoire de cette structure singulière, qui aura servi de modèle à bien d’autres par la suite. Et on le souhaite ardemment, car elle occupait une place à part dans la cartographie des galeries parisiennes. On ne peut pas s’empêcher de penser pour autant qu’elle marque la fin d’une époque.

Images: Vue de performance, Jiri Kovanda, Wait, Please, She will Come, gb agency, Paris, 2011, Photo Marc Domage; vue de l’exposition d’Ugo Rondinone au Musée d’art et d’histoire de Genève ; vue d’une peinture de Marlene Dumas sur le stand de la galerie Zeno X lors de la dernière foire Paris + ; Elina BrotherusMarcello’s Theme, 2014 Carpe Fucking Diem series, Pigment print mounted on aluminium, framed 90 x 135 cm ; 92,5 x 137,5 x 3 cm framed Edition 6 (+ 2 A.P.) Courtesy the artist and gb agency, Paris

Cette entrée a été publiée dans Expositions.

0

commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

*