de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Collectives

Collectives

Le début d’année est souvent une période creuse pour les galeries. Après l’effervescence de l’automne, l’hiver s’étire et le marché a du mal à se réveiller. C’est la période pendant laquelle certaines en profitent pour faire des travaux, d’autres pour montrer des artistes qui ne sont pas les plus en vue de leur programmation et d’autres pour présenter des expositions collectives, plus centrées autour d’un thème ou d’une esthétique. C’est le cas des expositions dont il est question aujourd’hui.

Dilecta est une maison d’édition mais aussi une galerie qui propose généralement des multiples. Mais depuis quelque temps, elle montre des pièces uniques et c’est le cas avec l’exposition qui vient d’ouvrir, confiée au jeune commissaire Thomas Fort. Il s’agit en fait d’une exposition centrée autour de la peinture figurative, en majorité française, et qui a pour point de départ un roman de Yôko Ogawa, Le Musée du silence. Dans ce livre, un muséographe est invité par une vieille femme à réaliser un musée dans la grange de sa propriété, située en périphérie d’un village japonais. Il y découvre une somme d’objets hétéroclites récoltés au gré de la mort des habitants de la bourgade et qui vont d’un sécateur rouillé à la dépouille d’un chien, en passant par des pièces de vaisselle ou un coffret de tubes de peinture vides. La vieille dame lui explique comment elle a passé sa vie à subtiliser ces objets, dans le but d’en faire une sorte de mémoire collective, mais qui correspond aussi à son désir propre. Comme le dit Thomas Fort : « Le roman porte une réflexion sur l’écriture de l’Histoire, qui au-delà des grands récits, se joue aussi dans le sillage silencieux de la disparition des êtres, et des objets banals qu’ils laissent derrière eux. »

La réponse qu’il y apporte plastiquement met donc en scène des œuvres qui témoignent de cette banalité, de cet effacement, de ce silence. S’il a conscience que bien des artistes auraient pu s’inscrire dans cette catégorie, il a choisi de ne pas montrer forcément les plus connus ou les plus attendus. Un des plus représentés y est Damien Cadio, à qui Thomas Fort a consacré récemment une monographie (parue également chez Dilecta). Il l’est sous la forme de petits formats représentants des sujets du quotidien et peints avec beaucoup de délicatesse dans une facture très classique, mais qui se démarquent par une certaine étrangeté, en partie due à un cadrage décentré et à une palette sourde. A ses côtés, on trouve des habitués de ces colonnes (Mathilde Denize, Julien des Monstiers, Jérôme Borel ou encore Jean Claracq), mais aussi de jeunes artistes comme Oscar Lefevre ou Jean Gfeller (nés respectivement en 1997 et 1996) qui représentent des situations ambigües, d’entre-deux et qui témoignent, avec leurs peintures diluées et fantomatiques, d’une indécision ou d’une latence. Et si la plupart des pièces sont sur châssis ou sur bois, d’autres, comme celles d’Emmanuelle Castellan, qui a aussi réalisé un papier-peint, flottent au mur ou se résument à des motifs en laine, comme celles de Melike Kara, qui font référence à des traditions et des rituels kurdes. En tout, ce sont plus de quinze artistes qui sont invités à illustrer le propos.

Concernant l’exposition toute entière, Thomas Fort dit que « Les tonalités vertes et bleutées qui dominent, réveillées à d’autres endroits par des couleurs éclatantes et acides, renforcent cette sensation d’incertitude comme si l’ensemble « retenait son souffle ». C’est particulièrement vrai de quelques pièces qui jouent sur le hors champs, les zones d’ombres, l’aspect nocturne et inquiétant. Ainsi les petits panneaux de David Kowalski, un peintre allemand qui lorgne du côté de Richter, s’imposent-elles par leur noir et blanc flouté qui sème le trouble ; ainsi les toiles du roumain Mircea Suciu (comme cet « Autoportrait en oiseau mort ») rejouent-elles les vanités non sans brio ni une certaine ironie ; ainsi la peinture très troublante et sensuelle de Xie Lei fait-elle intervenir des mains sur ce qu’on pense être un corps, mais sans que l’on sache ni d’où elles viennent ni à qui elles appartiennent. Il en va de même de toute l’exposition qui tient sur cette corde raide, entre le caché et le montré, le dit et le tu. C’est ce qui fait sa force et son originalité ; en provoquant le malaise, elle se singularise.

Autre exposition collective, celle proposée par la galerie Mor-Charpentier sous le titre de Requiem. Là, c’est le thème des ruines et des vestiges du passé qui a été retenu. Mais ces ruines peuvent être contemporaines, comme celles qui ont suivi le tremblement de terre de la province chinoise de Sichuan. Teresa Margolles, qui s’est retrouvée parmi les premiers volontaires à venir en aide aux victimes de cette catastrophe, les a photographiées et elle montre ces images au côté d’un petit éclat de bois qui n’est autre qu’une relique reçue en offrande de la propriétaire d’une des maisons détruites. Rossella Biscotti ou Théo Mercier, eux, présentent des pièces liées aux forces de la nature et aux préoccupations écologiques. Les sculptures en verre la première ont d’abord été présentées comme des objets échoués sur une plage, confondus avec les rochers que les vagues façonnent sans cesse. Quant à celles du second, elles se présentent comme des fossiles fantastiques du futur, des objets du quotidien qui se transforment en œuvres précieuses de nacre, d’onyx et de coquillages exotiques.

Chez gb agency, enfin, on « danse la vie », à partir d’une toile éponyme de feu l’artiste de Dubai Hassan Sharif. C’est-à-dire que l’on montre ce que des artistes en exil ou qui ont connu des guerres et des catastrophes produisent pour se réinventer, trouver une nouvelle place dans le monde et créer de nouveaux liens et de nouvelles amitiés. Majd Abdel Hamid, que l’on a découvert à la Verrière Hermès de Bruxelles (cf Le temps, contre et avec – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)), présente ses broderies souvent colorées qui renvoient à la tradition du pays dont il est originaire (la Palestine), tout autant qu’aux événements violents qui ont secoué Beyrouth, la ville où il vit ; Tirdad Hashemi, remarquée lors des Révélations Emerige et d’une exposition chez Marcelle Alix (cf Seules les galeries… – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)), et qui a fui l’Iran, célèbre sa nouvelle vie à Berlin en créant de nouveaux et toujours volcaniques dessins avec sa compagne, Soufia Erfanian ; Paul Heintz, remarqué lui aussi chez Emerige, renoue le contact avec le copiste chinois qui est sujet de son film ; Apostolos Georgiou présente de nouvelles toiles, toujours aussi dérangeantes et ambigües et Elene Shatberashvili, une nouvelle venue -d’origine géorgienne- à la galerie, montre des peintures subtiles, aux couleurs mordorées, dans lesquelles le regard se perd entre différents plans. Plus qu’une exposition collective, cinq mini accrochages, cinq univers différents mais complémentaires, qui montrent les nouvelles orientations d’une enseigne souvent jugée conceptuelle et austère.

Traverser les silences, jusqu’au 26 février à la galerie Dilecta, 49 rue Notre-Dame de Nazareth 75003 Paris (www.editions-dilecta.com)

Requiem, jusqu’au 12 février à la galerie Mor Charpentier, 61 rue de Bretagne, 75003 Paris (www.mor-charpentier.com)

Dance of Life, jusqu’au 19 mars chez gb agency, 18 rue des Quatre Fils 75003 Paris (www.gbagency.fr)

Images : Xie Lei, Silence, 2022 Huile sur toile, 27 × 35 cm © Xie Lei / Courtesy Dilecta et Semiose, photo : Nicolas Brasseur ; Oscar Lefevre, Through the Door, 2021 Huile sur toile, 46 × 38 cm © Oscar Lefebvre / Courtesy Dilecta, photo : Nicolas Brasseu ; vue de l’exposition Dance of Life à la galerie gb agency avec des œuvres de Elene Shatberashvili (photo Aurélien Mole)

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