de Patrick Scemama

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La République de l'Art
De quelques femmes remarquables…

De quelques femmes remarquables…

En ce début de semaine de foire Paris+, qui est sans doute une des plus chargée de l’année, quelques expositions qui ont particulièrement retenu notre attention. Il se trouve qu’il s’agit d’expositions d’artistes femmes. C’est un hasard, pas un choix délibéré, mais qui fait bien les choses…

Chez Lelong, tout d’abord, Paula Rego, une artiste britannique d’origine portugaise que l’on a peu vue en France, alors qu’elle est une star Outre-Manche. Cette exposition rassemble une série d’œuvres sur papier qui ont été réalisées dans les dernières années de sa vie (elle est morte l’année dernière, à l’âge de 87 ans). La sélection en a été faite par elle-même, avant qu’elle ne décède. Dans de nombreux dessins (le dessin étant, rappelons-le, le médium de prédilection de l’artiste), on voit des femmes, avachies dans des fauteuils, l’air épuisé. Ils correspondent à des périodes de dépression de Paula Rego, des périodes où elle-même avait à peine la force de travailler. C’est particulièrement touchant, comme ces dessins qui représentent une femme noire qu’elle avait engagée comme dame de compagnie. Dans une autre pièce, plus loin, la galerie présentes des gravures, qui fut un des autres terrains de prédilection de l’artiste. Là on retrouve la vitalité et l’esprit goyesque qui caractérisent son travail.

Toujours chez Lelong, dans la librairie, ce sont d’autres estampes qui sont montrées, celles réalisées par la grande Etel Adnan. On ne présente plus cette artiste qui, depuis sa mort, est devenue une véritable icone. Mais on sait que celle qui fut d’abord poétesse ne vint à la peinture que sur le tard et à la gravure encore plus, puisqu’elle n’a commencé à en faire qu’en 2014. C’était pour elle, d’ailleurs, une manière de toucher un plus large public, de démocratiser son œuvre, ce dont elle se réjouissait. C’est l’ensemble de ces gravures que montre la galerie Lelong, qui édite à cette occasion un catalogue raisonné. On y voit donc toutes ces eaux-fortes aux formes simplifiées et aux aplats de couleurs vives, qui représentent des paysages, entre figuration et abstraction. Mais on y voit aussi les gravures en noir, qui se limitent à un simple dessin et que l’artiste prenait plaisir à aquareller, rendant ainsi chaque exemplaire unique. C’est un plaisir de l’œil, une fête de la couleur, une image de la beauté.

La couleur, c’est aussi ce qui caractérise la nouvelle exposition d’Agnès Thurnauer chez Michel Rein. Elle fait suite à sa confrontation avec Matisse au musée du même nom, à Nice (cf John Giorno, Agnès Thurnauer: correspondances et mémoires – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)), et plus particulièrement aux papiers découpés. En regardant attentivement ces formes si novatrices de la dernière partie de la vie du maître, elle s’est rendu compte qu’elles ressemblaient à certaines parties de ses « Matrices », ses sculptures qui sont en fait constituées de moules de lettres. Elle a donc décidé d’en extraire quelques-unes et de les peindre de couleur vive, passant ainsi de la tri à la bi dimensionnalité, et de les accrocher aux murs, comme si elles étaient en mouvement et qu’il s’agissait d’une danse, hommage supplémentaire à celui à qui l’inspire. Et elle a voulu aussi les reproduire sur des toiles, dans des compositions qu’elle appelle des « tablettes ». Car chez Agnès Thurnauer, ces figures sont des éléments de langage qui renvoient aux tablettes Sumériennes et font écho, en quelque sorte, aux origines de l’écriture, qui est le fondement de son travail. Mais que l’on ait connaissance ou pas de celui-ci, on ne peut qu’être sensible à cette exposition pleine de vitalité et où triomphe, de manière simplifiée, une véritable jouissance de la forme.

On ne connaissait pas le travail de Claire Kerr, cette artiste irlandaise née en 1968 et qui expose pour la première fois en France, chez gb agency. Elle fait des peintures, de petits formats, dans une technique très maîtrisée, qui demande un long temps de réalisation et qui représentent là une main qui sort d’une fenêtre de train, là un rideau de théâtre rouge qui s’entrouvre, là un autoportrait généré par une intelligence artificielle. Mais elle fait aussi des dessins, des gravures, des tissages, des sculptures et on finit par ne savoir qui est quoi. Car tout l’art de cette artiste singulière est de jeter un trouble, de faire que les médiums se confondent, qu’un dessin apparaisse comme une gravure, une photo comme un tissage ou encore une peinture comme un collage. Mais il ne s’agit pas tant d’un jeu illusionniste qui tend à tromper le regardeur que d’une réflexion conceptuelle sur l’image, sa source, la manière dont elle se construit. Le travail de Claire Kerr est une sorte de labyrinthe qui ne paie pas de mine, mais dans lequel on s’enfonce, on se perd et qui ouvre sur des considérations vertigineuses.

On ne connaît guère plus en France le travail de Mamma Andersson, cette artiste suédoise née en 1962, qui est pourtant représentée par la puissante galerie Zwirner et qui a été lauréate, en 2018, du Prix du dessin de la Fondation Guerlain. L’antenne parisienne de la galerie lui consacre sa première exposition dans l’hexagone en présentant un ensemble de peintures récentes regroupées sous le titre de Adieu Maria Magdalena. Il s’agit en fait de l’adieu à une période révolue de la vie de l’artiste et c’est ce qui explique sans doute la mélancolie et le sentiment de deuil qui se dégagent de ses toiles. Avec une palette souvent chaude et mordorée, elle compose des intérieurs ouverts dont la quiétude et l’aspect dépouillé ne sont pas sans rappeler l’univers de son compatriote Hammershøi. Mais cette « fausse » tranquillité est subvertie par des jeux de miroirs qui réfléchissent l’espace et ouvrent des plans supplémentaires. Ou par des objets (des sculptures de mains, par exemple), qui donnent une touche surréaliste à l’ensemble. La peinture de Mamma Andersson est complexe, non parfois sans maladresse, mais avec une richesse chromatique et un sens de la composition qui forcent l’admiration.

-Paula Rego, Drawing Breath, et Etel Adnan, La mer. Rien d’autre. La mer., jusqu’au 19 novembre à la galerie Lelong, 13 rue de Téhéran 75008 Paris (www.galerie.lelong.com)

-Agnès Thurnauer, Pariétales, jusqu’au 25 novembre à la galerie Michel Rein, 42 rue de Turenne 75003 Paris (www.michelrein.com)

-Claire Kerr, She Would Lead Us Through Glass, jusqu’au 10 novembre chez gb agency, 18 rue des Quatre-Fils 75003 Paris (www.gbagency.fr)

-Mamma Andersson, Adieu Maria Magdalena, jusqu’au 18 novembre chez David Zwirner, 108 rue Vieille-du-Temple 75003 Paris (www.davidzwirner.com)

Images : Paula Rego, Depression No.3, 2007 Pastel sur papier, 107x78cm © Paula Rego / Courtesy Ostrich Arts Ltd. and Victoria Miro © Ostrich Arts Ltd. ; Etel Adnan, En miroir, 2020,  Etching, edition of 35,  49 x 38 cm © The Estate of Etel Adnan / Courtesy Galerie Lelong & Co. ; Agnès Thurnauer, Tablette #11, 2023, acrylique sur toile, cadre bois 202 x 152 cm, Courtesy de l’artiste et de la galerie Michel Rein, Paris/Bruxelles ; Claire Kerr, Train window (oil on panel, 12 x 18 cm, 2022-23) Courtesy de l’artiste et de gb agency; Mamma Andersson,  Lièvre Mort d’Ehrenstrahl, 2023 © Mamma Andersson/Artists Rights Society (ARS), New York/ Bildupphovsrätt, Sweden Courtesy the artist and David Zwirner

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