de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Du personnel à l’universel

Du personnel à l’universel

Danh Vo est né au Vietnam, a la nationalité danoise et vit à Berlin. C’est dire si la question d’identité et de différence culturelle le concerne et l’interroge. D’autant qu’il a quitté son pays d’origine en 1979,  à l’âge de quatre ans, sur une embarcation précaire construite par son père, espérant rejoindre les Etats-Unis. Mais le voyage n’alla pas à son terme et c’est au Danemark que la famille s’échoua et se fixa. Il n’y eut donc pas d’entrée dans le port de New York, saluée par le bras portant flambeau de la statue de la Liberté, il n’y eut pas ce symbole pour les immigrants censés poser le pied sur le sol du nouveau monde, où tout est possible et où s’arrête la répression.

Est-ce la raison pour laquelle une des principales installations de l’exposition qui lui est actuellement consacrée au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris est une reconstitution à l’échelle 1 de cette statue de la Liberté, mais sous la forme de fragments que l’artiste dispose différemment, selon les lieux où il les montre ? Sans doute, et sans doute a-t-il voulu aussi rappeler que c’est un sculpteur français, Frédéric Auguste Bartholdi, qui l’a conçue et offerte à l’Amérique pour célébrer le centenaire de la Déclaration de l’Indépendance de 1776 et qu’une de ses répliques se trouve à quelques mètres de là, sur l’Allée aux Cygnes, près du pont de Grenelle. Car c’est essentiellement les liens de son histoire personnelle avec la France qu’a voulu mettre en avant Danh Vo dans le cadre de cette exposition, une France où il a déjà séjourné et travaillé et une France où les Accords de Paix entre les Etats-Unis et le Vietnam ont été signés, en 1973, plus précisément à l’Hôtel Majestic de l’avenue Kléber.

Ainsi, outre ces fragments de statue de la Liberté que l’artiste a décidé de reproduire lorsqu’il s’est rendu compte qu’elle était constituée d’une structure creuse et que son enveloppe en cuivre repoussé ne mesurait que 2,5 mm d’épaisseur, on voit trois énormes lustres fin XIXe siècle dans l’exposition. Ces lustres servaient à éclairer la salle de bal où ont été signés ces fameux Accords de Paix. Danh Vo les a acquis en 2009, lors d’une rénovation de l’Hôtel Majestic, et en a fait des témoins silencieux d’un évènement capital pour l’histoire de son pays qui aboutira à la capitulation du gouvernement de Saigon en 1975. Il les expose tel quel dans les musées ou démontés et posés au sol. Il leur a donné aussi comme titre la date et l’heure de leur décrochage.9.Danh Vo Photo Nick Ash

Mais c’est sans doute aussi pour souligner le rôle pour le moins ambigu joué par les Etats-Unis au cours de cette guerre que Danh Vo montre une série d’objets qu’il a achetés lors de la vente aux enchères « Les années à la Maison Blanche de Robert S. McNamara », chez Sotheby’s en 2012. McNamar fut Secrétaire à la Défense de 1961 à 1968 sous les présidences de John F. Kennedy et Lyndon B. Johnson et, à l’occasion de sa mort, il fut salué à  la une de l’édition du 7 juillet 2009 du New-York Times comme « l’architecte d’une guerre futile ». Ce sont donc différents objets qu’expose Danh Vo, comme autant de reliques d’une époque disparue (un coffret d’objets archéologiques offert à McNamara par Moshe Dayan, des chaises ayant appartenu à l’administration Kennedy), autant de témoignages personnels d’un homme qui joua un rôle non moins fondamental pour la destinée de son peuple.

Enfin, une dernière pièce de l’exposition témoigne de l’intérêt de l’artiste pour les Missions Etrangères et en particulier pour la figure de Théophane Vénard, un missionnaire envoyé au Tonkin Occidental en 1854, arrêté six plus tard et décapité à l’issue d’un procès. Cette figure est souvent présente dans les travaux de l’artiste. Il a d’ailleurs demandé à son père, qui ne comprend pas le français, de recopier à la main et autant de fois que nécessaire la dernière et bouleversante lettre que Vénard adressa à sa famille avant son exécution. Vendue sous la forme de multiples, elle ne pourra être reproduite que tant que le père restera en vie.

Quand on sait aussi que l’exposition est ponctuée de cartons d’emballage qui, après avoir servi, sont renvoyés en Thaïlande où les logos des produits qu’ils contenaient ont été dorés à la feuille ou d’objets tels qu’une montre Rolex ou un briquet Dupont qui sont les objets que le père de l’artiste a voulu acquérir à son arrivée au Danemark, on mesure la gravité et la poésie qui s’en dégagent. Bien sûr, tout cela concerne l’histoire personnelle de Danh Vo, mais ce personnel a valeur d’universel. Car ce sont des thèmes essentiels (la question de la liberté, celle de la complexité des échanges entre les peuples, celle de la mémoire individuelle et collective) qui sont abordés là. « J’ai été élevé à partager avec d’autres mes points de vue, mes craintes, mes peines et l’amour » a dit Danh Vo, en 2010, dans une interview au magazine américain Artforum. Son exposition ne peut mieux s’en faire l’écho.

Dan Vo, Go Mo Ni Ma Da, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris/ARC, jusqu’au 18 août

Images: We The People (détail), 2011-2013, Courtesy Galerie Chantal Crousel;  26-05-2009 ,8:43, 2009 (photo: Nick Ash)

 

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