de Patrick Scemama

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La République de l'Art
L’arc-en-ciel se poursuit en janvier

L’arc-en-ciel se poursuit en janvier

Le mois dernier, je rendais compte d’un certain nombre d’expositions parisiennes qui témoignaient d’un esprit très gay ou plus précisément LGBTQIA+ (Décembre arc-en-ciel – La République de l’Art (larepubliquedelart.com). C’est dans cette mouvance que s’inscrit l’exposition que propose la galerie Semiose, The Minotaur’s Daydream. Pourtant, son commissaire, Anthony Cudahy, qui est aussi un des artistes de la galerie, ne la présente pas exactement sous cet angle. Dans un texte assez énigmatique, il précise : « Je mentirais si je ne disais pas que, au cours des trois dernières années, je me suis souvent trouvé dans une familiarité grise, quelque chose qui ressemble à ce que la romancière Maria Stepanova appelle “avoir du monde une vision évoquant l’image d’un appartement que l’on vient de vider ». (…) L’esprit est un labyrinthe rempli de pièces récemment abandonnées qui résistent à la sortie. Je pense à un minotaure qui s’ennuie, seul dans son labyrinthe, en train de rêvasser. (…) L’esprit égaré dans ces pensées, j’ai tenté de concevoir une exposition qui rassemble dix artistes, chacun d’entre eux se heurtant formellement et émotionnellement aux murs et cherchant à les repousser ».

En fait, les dix artistes sélectionnés sont américains, ils viennent d’horizons et de générations différents et sont pour la plupart inconnus à Paris. Et un bon nombre d’entre eux font de leur sexualité et de leur identité gay une part essentielle de leur travail. C’est ainsi que Billy Sullivan, qui est le plus âgé d’entre eux et qui a fréquenté l’entourage d’Andy Warhol, nous fait partager l’intimé de son existence, grâce à de délicats portraits de ses amies, amants, artistes, écrivains, collaborateurs, célébrités ou inconnus. C’est ainsi aussi que Andersen Woof utilise son expérience d’homme gay et d’immigrant asiatique aux Etats-Unis pour aborder des thèmes tels que la solitude, les relations humaines, la peur, la violence, le désir. Et que Hank Ehrenfried pratique le collage pour en faire ensuite une peinture, mais que les images qu’il utilise – et qui sont aussi une manière de marquer le passage du temps-, sont souvent celles qu’il découpe dans des magazines érotiques masculins. Ou que Devin N. Morris se souvient de sa vie de jeune homme de couleur gay vivant à Brooklyn pour créer des tableaux et des dessins qui se transforment en œuvres proches du diorama ou de l’installation, souvent accompagnées d’une bande sonore, tandis que Paul Mpagi Sepuya aborde la photographie de manière plus conceptuelle, en utilisant le studio comme un espace performatif, mais en y faisant intervenir sensuellement ses modèles qui sont aussi des amis, des amants, ou des membres de la communauté queer.

Et des femmes sont aussi présentes dans la sélection, comme Philomona Williamson, dont les peintures et les dessins représentent des jeunes filles, enfants ou adolescentes, engagées dans des scènes ludiques impliquant souvent des poupées, ou Jenna Beasley, qui explore les thèmes de la catastrophe, de l’écologie, de l’aliénation et de l’intimité en utilisant des matériaux peu orthodoxes. Enfin, comme Anthony Cudahy évoque la figure du Minotaure, il les présente dans un espace fermé, sorte de labyrinthe dans lequel on se perd et où les œuvres des uns répondent à celles des autres dans de troublants jeux de miroirs. C’est un parcours en forme de découverte, surprenant, un peu comme un espace mental dont on ne saisit pas toujours les connexions, mais qui séduit, intrigue, dérange et invite le spectateur à entrer dans l’intimité des artistes de manière tout autant banale que désirable, spectaculaire que d’une désarmante simplicité.

Dans ce même billet de décembre, je vous parlais de Résistance des fluides, cette exposition qui présentait les lauréats de la première édition du Prix Utopi·e — le premier prix LGBTQIA+ dans l’art- et dont le volet initial se tenait à la galerie Air de Paris. Les deux autres volets ont lieu actuellement aux galeries Marcelle Alix et Sultana et ce sont à chaque fois des expositions différentes que l’on a l’impression de voir. Pourtant, on y retrouve les mêmes artistes, mais avec d’autres œuvres ou mis différemment en avant. C’est ainsi par exemple que Damien Rouxel, qui n’avait droit qu’à une photo dans la galerie de Romainville est en valeur chez Marcelle Alix avec la vidéo d’une performance incroyablement animalière et que, dans cette même enseigne, Nanténé Traoré se voit gratifier d’un très bel accrochage de ses puissantes photos, qui ne sont pas sans rappeler celles de Wolfgang Tillmans, et qui donnent une vision très empathique de la communautés trans. C’est ainsi aussi qu’Aurélien Pottier, qui était surtout présent sous la forme d’un travail textuel chez Air de Paris, montre, chez Sultana, toute une remarquable série de petites céramiques faites dans le creux de la main, ainsi que des dessins, et que, toujours dans le registre de la céramique, Hélène Alix Mourrier, dont on avait déjà pu voir les « Couteaux », présente des « Méduses » d’une belle présence plastique et poétique.

Un artiste est également présent dans ces deux derniers volets (outre Victorien Soufflet qui aura tronçonné son lit pour en présenter une partie dans chacun des trois lieux) : Alireza Schojaian. Le jeune peintre iranien est, il est vrai, lauréat du Prix Utopi-e, et il a bénéficié d’une forte visibilité, surtout depuis sa participation à l’exposition Habibi à l’Institut du Monde arabe (cf LGBTQI+, d’ici ou d’ailleurs – La République de l’Art (larepubliquedelart.com). Chez Sultana, il montre plusieurs toiles qui sont représentatives de son art du nu masculin, souvent confronté à des éléments traditionnels de la culture perse (la rencontre entre les cultures orientales et occidentales). Mais chez Marcelle Alix, il peint pour la première fois des femmes dans deux grands tableaux qui semblent évoquer une rencontre amoureuse. Or, de son propre aveu, il s’agit bien d’une histoire douloureuse dont il a été lui-même l’acteur, mais qu’il transpose ici dans le registre féminin. Et ce passage d’un sexe à un autre n’enlève rien ni à l’émotion ni à la délicatesse qui transparaissent de ces œuvres. La preuve -si besoin était encore d’en donner une- qu’au-delà du genre et du modèle de relations, le sentiment amoureux n’est qu’un et partout le même.

The Minotaur’s Daydream, une exposition conçue par Anthony Cudahy, jusqu’au 4 mars à la galerie Semiose , 44 rue Quincampoix 75004 Paris (www.semiose.com)

Résistance des fluides, jusqu’au 2 février à la galerie Marcelle Alix, 4 rue Jouye-Rouve 75020 Paris (www.marcellealix.com), et jusqu’au 4 février à la galerie Sultana, 75 rue Beaubourg 75003 Paris (www.galeriesultana.com)

Images: Hank Ehrenfried, Hand in the Water, 2022 Huile sur toile de lin, 61 × 46 cm Nº Inv. HE22001 Courtesy of the artist and Semiose, Paris; Billy Sullivan, Christian 2, 2003 Aquarelle sur papier, 30 × 41 cm Nº Inv. BS03001 Courtesy of the artist and kaufmannrepetto, Milan/New York and Semiose, Paris ; Nanténé Traoré, David, 2022 Scan de négatif 24x36mm, couleur – Portra 400 (photo Gregory Copitet); Alireza Shojaian, The perfect moment (Gaëlle et Salwa) 2, 2022, acrylic and coloured pencil on wood, 64 cm x 85 cm

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