de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Le Prix Duchamp annonciateur de la FIAC

Le Prix Duchamp annonciateur de la FIAC

La quinzaine qui s’ouvre va être, pour le milieu de l’art contemporain français, incontestablement la plus chargée de l’année. Parce que c’est celle de la Fiac, qui reprend, après un an d’interruption, dans l’espace récemment inauguré du Grand Palais éphémère et que les galeristes attendent avec une certaine fébrilité, compte tenu des résultats en demi-teinte obtenus à la Foire de Bâle, en septembre. C’est aussi celle que de nombreuses institutions choisissent pour inaugurer de nouvelles expositions, espérant ainsi bénéficier de l’effet d’entraînement. Parmi toutes les manifestations prévues, qu’on aurait du mal à mentionner toutes, on pourra noter, entre autres, la tenue du très pointu salon Paris internationale, qui comme chaque année change d’adresse pour trouver refuge cette fois au 186 avenue Victor Hugo 75016 Paris (du 20 au 24 octobre), le rendez-vous annuel avec le Private Choice de Nadia Candet qui réunit une belle sélection d’artistes et de designers dans un appartement parisien (du 18 au 24 octobre, au 7 avenue Franklin Roosevelt, visite après invitation sur le site : www.privatechoice.fr) et l’activation dans la très radicale exposition d’Anne Imhof au Palais de Tokyo (cf Anne Imhof, si sombre, si romantique – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)) de performances qui devraient lui donner une dimension supplémentaire (à partir du 14 octobre).

Mais cette période pré-Fiac est aussi celle du Prix Marcel Duchamp, qui se tient depuis plusieurs années au Centre Pompidou (je ne parlerai pas du Prix Ricard, qui est exposé dans les nouveaux locaux de la Fondation du même nom, près de la Gare Saint-Lazare, mais qui se noie cette fois littéralement dans l’intellectualisme le plus abscons). Cette sélection du Prix Duchamp, qui suscite de plus en plus d’attention, même s’il n’a pas encore la popularité du Turner Prize anglais, semble cette année très équilibrée. Deux filles, deux garçons, parité oblige, on a affaire avec des artistes qui sont à peu près au même niveau de carrière, même si certains sont plus âgés et si d’autres ont été beaucoup plus vus (en France tout du moins), ces derniers temps. Côté filles, Isabelle Cornaro propose, comme elle sait si bien le faire (cf. La mode au service de l’art – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)) un paysage en trois dimensions, né de l’analyse en perspectives, lignes de fuites, etc., d’une image en deux et reconstruit à l’aide de rouleaux de moquettes, éléments en bois et objets divers savamment disposés dans l’espace. A côté de cela, elle montre des vidéos, dont un film d’animation qui rejoue ce même processus de décomposition. L’élégance, l’intelligence et la précision sont les marques de cette artiste.

On est moins convaincu par la proposition de Lili Reynaud Dewar, qui a abandonné ici les vidéos où on la voit danser, nue, le corps recouvert de peinture, dans des espaces muséaux. Son projet prend pour base les derniers jours de Pasolini avant son assassinat, qu’elle fait jouer par 24 de ses amis, hommes ou femmes de différentes nationalités, en leur faisant endosser plusieurs rôles et en leur proposant de raconter leurs vies. Du coup, c’est cette communauté qu’elle veut mettre en avant en faisant en sorte qu’elle réponde, d’une certaine manière, à la question sur le rôle social et politique de l’art posée par Pasolini. Mais le projet de cette artiste souvent brillante peine ici à trouver sa pertinence et son réel bien-fondé.

pMD 2021

De même que la proposition de Julien Creuzet, côté hommes, laisse sceptique. On a beaucoup vu, en effet, ces paysages mentaux faits d’hybridation entre des objets trouvés et des dispositifs technologiques, qui parlent de colonialisme et d’identité panafricaine. Mais l’originalité de l’artiste est toujours d’y associer la musique et, cette fois, c’est la figure du trompettiste Jacques Coursil (qui fut aussi sémioticien et philosophe) qui est mise en avant et qui fut notamment connu pour sa technique du souffle continu. Julien Creuzet cherche à donner forme à cette figure musicale.

Alors c’est peut-être la proposition de l’artiste qui est le moins connu en France (il est vrai qu’il est aussi suisse et qu’il vit à Berlin) qui se révèle la plus satisfaisante. Julien Charrière, qui fut l’assistant d’Olafur Eliasson, met la question écologique au cœur de ses préoccupations et s’y confronte en véritable aventurier, en particulier lors d’expéditions sur les cercles polaires. Son projet, assez complexe, a pour objet le CO2, facteur majeur du réchauffement climatique, mais qui participe aussi également à la connaissance de l’histoire de notre atmosphère. Surtout, il a le mérite d’être remarquablement mis en espace dans une scénographie qui plonge le visiteur dans l’obscurité (le sol est en charbon) et de laquelle émergent une vidéo et une sculpture en diamants qui est utilisée dans le forage pétrolier en raison de sa résistance exceptionnelle. Et le propre d’un artiste n’est-il pas de trouver un équivalent plastique fort à ses idées ou à ses convictions ? Réponse le 18 octobre, lors de ma proclamation du résultat.

Enfin si l’on veut faire une halte reposante dans ce marathon de l’art contemporain, on pourra toujours aller voir la traversée des saisons que nous propose David Hockney au Musée de l’Orangerie. On avait déjà eu un avant-goût à la galerie Lelong de ce qu’il a produit depuis qu’il s’est installé en Normandie, dans le Pays d’Auge, et qu’il y a passé les différents confinements (D’Hockney à Douard, le grand écart – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)). Mais cette fois, c’est une frise longue de 90 mètres, en écho au format et à l’ambition des Nymphéas de Monet (peintre avec lequel Hockney a bien des affinités) et sur le modèle des rouleaux japonais, qui est présentée, en plus de quelques peintures assemblées à la manière du châssis d’une fenêtre et d’une très enfantine vidéo. Et on pourra se faire les mêmes remarques que lors de l’exposition à la galerie Lelong, à savoir que toute cette série d’œuvres effectuée sur iPad peut sembler naïve, que la touche n’est plus très sûre, qu’elle se répète un peu, mais l’ensemble est porté par un tel amour de la nature et de la beauté du monde, par une telle confiance en la peinture et un tel appétit gourmand d’en faire, qu’on ne peut que s’émerveiller devant la fraîcheur et l’enthousiasme de cet éternel et fringant jeune homme.

-Prix Marcel Duchamp, jusqu’au 3 janvier au Centre Pompidou (www.centrepompidou.fr)

-David Hockney, A Year in Normandie, jusqu’au 14 février au Musée de l’Orangerie (www.musee-orangerie.fr)

Images : Julian Charrière, Le Poids des Ombres, 2021 , Charbon poli (anthracite), trépans de forage, acier, Courtesy de l’artiste, de la galerie DITTRICH & SCHLECHTRIEM, Berlin ; de la galerie Tschudi, Zuoz ; de la galerie Sean Kelly, New York ; et de la galerie Sies + Höke, Düsseldorf © VG Bild-Kunst, 2021 ; Isabelle Cornaro, Paysages XIII, 2021, Bois, peinture acrylique en aérosol, divers objets trouvés, Avec le soutien de Noirmontartproduction, Courtesy de l’artiste et de la galerie Balice Hertling, Paris © ADAGP, Paris, 2021 David Hockney, « A Year in Normandie » 2020-2021 (detail) Composite iPad painting© David Hockney

Cette entrée a été publiée dans Expositions.

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commentaire

Une Réponse pour Le Prix Duchamp annonciateur de la FIAC

Patrick Scemama dit :

Et c’est Lili Reynaud Dewar qui remporte le prix!

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