de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Léger/Gilbert & George, rencontre inattendue

Léger/Gilbert & George, rencontre inattendue

Soucieux de poursuivre l’ouverture de sa programmation au contemporain (il l’avait déjà fait avec Stéphane Couturier), le très charmant Musée Fernand Léger de Biot, dans les Alpes-Maritimes, propose cet été une surprenante confrontation : celle du maître des lieux avec les artistes anglais que l’on associe volontiers au Pop Art, Gilbert & George. Surprenante, car rien ne semble à première vue réunir celui qui fut une des grandes figures de la modernité française avec ce duo qui se définit comme des « sculptures vivantes », se met le plus souvent en scène dans ses oeuvres et joue volontairement sur la provocation. Mais il est vrai que ce ne sont pas n’importe quelles pièces qui ont été choisies pour cette mise en perspective : d’un côté Les Constructeurs, une des toiles les plus célèbres de Léger, qui fait partie des œuvres les plus importantes du musée, et de l’autre, CLASS WAR, MILITANT, GATEWAY, un immense triptyque appartenant à la Fondation Vuitton et qui n’avait jamais été vu dans un cadre muséal. Et du coup, la perspective change.
Les Constructeurs, on le sait, a été peint dans les années 50, à l’époque où l’artiste, de retour d’exil aux Etats-Unis, adhère au Parti Communiste et entend célébrer le renouveau de la France. Il s’agit d’un hymne à la ville, à la société industrielle et à l’effort qu’accomplissent les ouvriers pour rebâtir le pays. Sur des poutrelles en suspension, se détachant sur un ciel bleu constellé de petits nuages, ces derniers s’activent en fonction des couleurs primaires qui structurent le tableau. Mais celui-ci reçut un accueil mitigé, les militants et les dirigeants du Parti lui reprochant de ne pas être assez fidèle à la réalité du chantier et, du coup, d’être peu compréhensible par la classe ouvrière. Il est vrai que même s’il souhait exalter les vertus du travail et la vie communautaire, Léger n’entendait pas pour autant verser dans le réalisme soviétique et gardait toute la liberté créatrice qui était la sienne.

Le lien avec le triptyque de Gilbert & George se fait d’abord sur un plan politique. C’est dans les années 80, au moment où l’Angleterre est le cadre de nombreuses grèves et de nombreuses tensions liées à la politique économique du Premier Ministre de l’époque, Margaret Thatcher, que l’œuvre est conçue. On y voit toute une foule de jeunes gens, vêtus de tenues d’ouvriers, s’avancer, un bâton à la main, comme dans une manifestation ou comme dans l’amorce d’une révolution. Le titre, qui figure dans l’œuvre elle-même, renvoie directement à la notion de luttes des classes et de militantisme. Derrière, la ville se profile, dans des perspectives inversées, avec toute sa puissance, sa monumentalité, mais aussi son conservatisme. Et ces années sont aussi celles du virus du Sida, qui décime la jeunesse et qui semble se matérialiser sous la forme de deux grands cercles rouges (comme des globules) qui représentent les yeux des artistes. Avec cette pièce immersive, qui occupe une salle toute entière, Gilbert & George semblent donc inciter les jeunes à se battre, à la fois contre les injustices sociales et politiques, mais aussi contre la menace qui plane sur eux et remet en cause leurs droits et leur identité.
Mais le rapprochement peut aussi se poursuivre sur un plan formel. De la même manière que Les Constructeurs est structuré par ces lignes horizontales et verticales rouges, jaunes et blanches, ce qui frappe dans CLASS WAR, MILITANT, GATEWAY est la présence de ces bâtons rouges que portent les jeunes garçons et que l’on retrouve à différente échelle, les artistes eux-mêmes (enfin leur représentation dans le tableau) en étant pourvus. Et il y a cette même fascination chez Léger que chez Gilbert & George pour les objets du quotidien et l’esthétique publicitaire, qui fait qu’à certains égards, Léger a pu apparaître comme un des précurseurs de l’art Pop. Enfin, ces artistes ont recours à la monumentalité et à un vocabulaire stylistique percutant –limpidité du graphisme, couleurs fortes, dynamisme de la composition, effets de réel- pour s’adresser au plus grand nombre. Il s’agit de frapper, d’impressionner le spectateur pour être sûr d’être compris par lui.

On le voit, ce rapprochement n’a donc rien de superficiel (même si le côté gay de Gilbert & George ne trouve bien sûr que peu d’écho chez Léger). Et comme le Musée de Biot propose parallèlement un nouveau parcours de ses collections, on ne manquera pas de faire un détour, cet été, pour voir cette petite, mais passionnante exposition.

-Gilbert & George, Images d’utopie, jusqu’au 16 novembre au Musée national Fernand Léger, Chemin du Val de Pome 06410 Biot (www.musee-fernandleger.fr)

Images : Gilbert & George, CLASS WAR, panneau central du triptyque CLASS WAR, MILITANT, GATEWAY, 1986, Panneau seul 363 x 1010cm. © Fondation Louis Vuitton, Paris. Photo Courtesy studio de Gilbert & George, Londres, 2020 ; MILITANT, panneau de gauche du triptyque CLASS WAR, MILITANT, GATEWAY, 1986, Panneau seul 363 x 758cm. © Fondation Louis Vuitton, Paris. Photo Courtesy studio de Gilbert & George, Londres, 2020 

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commentaire

Une Réponse pour Léger/Gilbert & George, rencontre inattendue

Ariane dit :

On ne voit pas le rapport immédiat, mais pourquoi pas?

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