de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Légèretés 3: Alain Séchas, Vincent Gicquel, Francesco Vezzoli

Légèretés 3: Alain Séchas, Vincent Gicquel, Francesco Vezzoli

Les galeries commencent à rouvrir et retrouvent telles qu’elles les avaient laissées les expositions qui étaient en place 55 jours plus tôt. Bientôt, je rendrais compte des nouvelles expositions ou de celles dont je n’avais pu parler avant le confinement. Mais avant ce retour à la « pas tout à fait normale », je voudrais consacrer un autre chapitre à cette mini-série sur les « légèretés », c’est-à-dire à ces artistes dont le travail peut sembler en apparence un peu facile, mais qui se révèle beaucoup plus subtil et profond lorsqu’on y regarde de plus près. Aujourd’hui, trois noms : Alain Séchas, Vincent Gicquel et Francesco Vezzoli.

Alain Séchas, c’est l’homme des chats, de ces félins aux grands yeux qui plongent directement dans ceux du regardeur (bien que, de son propre aveu, il n’en possède aucun). Mais des chats très anthropomorphes, qui n’ont gardé en vérité que la tête de l’animal, le reste du corps se rapprochant de celui de l’homme (un peu à l’image de ces cambrioleurs de fiction qui se faufilent, la nuit, sur les toits des hôtels, le visage recouvert d’un masque noir). Ces chats, il en a fait des sculptures, parfois de très grande taille, comme celle qui trône dans les jardins du MacVal à Vitry. Et il en a fait aussi les héros de dessins qui commentent l’actualité avec beaucoup de flegme et d’humour et qu’il poste régulièrement sur Instagram.

Mais il les peint aussi. Et c’est cette peinture que l’on a pu voir à la Maba, il y a quelques semaines, dans une exposition, Ô saisons, ô chats, qui devait se tenir jusqu’au 5 avril (cf http://larepubliquedelart.com/alain-sechas-mefions-nous-des-chats/). Et ce qui était intéressant, c’était de voir que ces félins, que l’on retrouvait dans des situations très civilisées, comme prendre le soleil sur les bords de Marne ou promener son chien dans un parc parisien, étaient au fond un prétexte à réfléchir sur les principes mêmes de la peinture. Privilégiant le trait (c’est ce qui le rapproche du dessinateur de presse), pour venir ensuite y inscrire la peinture, Séchas jouait –et joue- sur le fond et la forme, allant de la toile où la couleur s’intégrait dans la forme à celle où la couleur envahissait l’ensemble à la manière du monochrome, voire même à celle ou le dessin disparaissait complètement au profit de la couleur pure (une série de toiles, présentée dans une salle à part, avait été réalisée à l’aide de scotch, pour obtenir des aplats de couleur purs et parfaitement géométriques). Et c’est là où l’on prenait conscience du fait que cette exposition –et le travail de l’artiste en général – est beaucoup plus ambitieux et réfléchi qu’une première approche pourrait laisser penser. Mais il a l’élégance de ne vouloir l’asséner et se sert du chat comme un trompe-l’œil (ou d’un entrechat).

Trompe-l’œil, la peinture de Vincent Gicquel l’est tout autant, qui semble issue du dessin d’enfant ou d’une forme d’expression naïve : elle est peuplée de bonshommes nus et chauves, que l’on pourrait aussi bien prendre pour des vieillards que pour des bébés (mais un âge ne rejoint-il pas l’autre ?) et qui sortent de toiles aux couleurs souvent vives, laiteuses, aquatiques. Ces bonhommes (jamais de femmes, mais l’artiste ne prétend représenter que ce qu’il connaît), qui ont aussi des faux airs de Caspar le petit fantôme, vont souvent par deux et se livrent à des activités qui restent toujours mystérieuses. Ils n’ont pas à proprement parler de rapports sexuels, mais leurs organes sexuels sont toujours visibles et dans des proportions plutôt imposantes, sans que toutefois cela donne un caractère érotique aux images. Ils ne sont pas tristes, mais sourient, souvent de manière un peu penaude, comme s’ils venaient d’être pris en train de faire  une grosse bêtise ou comme s’ils étaient simplement surpris de l’attention qu’on leur porte.

En fait, pour l’artiste, qui est aussi surfeur et qui a eu un parcours un peu sinueux (il est passé d’un réalisme social très travaillé à la Neo Rauch à la « bad painting » puis à un style délibérément kitsch avant d’arriver aux figures actuelles), celles-ci sont un  des derniers témoignages de l’homme pour se tenir en vie. Et effectivement, lorsqu’on s’intéresse de plus près à ces personnages à la fois ridicules, pathétiques, mais aussi follement sympathiques, on se rend compte qu’il y a là un effort désespéré pour faire encore quelque chose (mais quoi ?) dans un univers où tout coule et se délite (et où la peinture coule aussi sur les toiles) un peu à la manière de la Winnie d’Oh les beaux jours de Beckett qui s’enfonce chaque jour un peu plus dans le sol. Beckett est d’ailleurs un des maîtres de Vincent Gicquel, qui lors d’une de ses dernières expositions à la galerie Thomas Bernard (cf http://larepubliquedelart.com/vincent-gicquel-ecce-homo/), avait préféré mettre en avant quelques-uns de ses livres plutôt que de produire un communiqué de presse. Beckett, mais aussi Nietzsche, Thomas Bernhard, Cioran, bref, tous ces « pessimistes joyeux » dont l’artiste est un grand lecteur et qui montrent l’insupportable, « justement parce que l’art le rend supportable ». C’est là qu’on perçoit que derrière la naïveté et la simplicité de ces dessins d’enfants se cache un regard aigu sur le monde, une vision singulière qui fait rimer l’amertume avec la réjouissance.

Trompe-l’œil enfin, le travail de l’italien Francesco Vezzoli l’est aussi, mais sur un mode beaucoup camp et glamour. Il s’est fait connaître pendant ses années d’études à Londres en utilisant la broderie, un art considéré féminin et désuet, pour reproduire de manière textile des chefs-d’œuvre de l’art abstrait ou pour rajouter des larmes aux portraits de stars de cinéma (sa manière à lui de lutter contre le minimaliste ambiant). Il y a quelques années, (cf http://larepubliquedelart.com/monaco-glamour-toujours/), il a investi la Villa Zauber de Monaco pour rendre hommage à son idole Marlene Dietrich et faire en sorte que le musée apparaisse comme une demeure qu’elle aurait pu habiter (il a aussi demandé à des copistes de faire des toiles à la manière des grands peintres de l’époque moderne dans lesquelles le visage de la star apparait). Récemment, il est intervenu dans l’exposition en hommage à Huysmans au Musée d’Orsay (cf http://larepubliquedelart.com/orsay-et-les-contemporains/), en réalisant « en vrai » la tortue à la carapace sertie de pierres précieuses dont il est question dans le roman A rebours. Francesco Vezzoli aime le luxe, la célébrité, les paillettes ; il a exposé dans les plus grands musées du monde et apparait souvent aux côtés des grandes vedettes de la planète.

Mais ce goût revendiqué du « bling-bling » est aussi, à la manière des artistes pop, une manière de dénoncer ou de tourner en dérision la société du spectacle dans laquelle il intervient. Ainsi a-t-il réalisé en 2005, un court-métrage qui est la bande annonce d’un remake fictif du film de Gore Vidal, Caligula, qui a pu être interprété comme un pamphlet contre le pouvoir autocratique de Berlusconi. Ainsi est-il l’auteur d’un film interprété par Sharon Stone et…Bernard-Henri Lévy qui est une parodie de campagne électorale américaine (Democrazy, 2007). Ou bien s’est-il lui-même mis en scène dans une histoire, Marlene Redux, qui raconte à la manière de la série TV américaine, A true Hollywood story, la vie d’un certain Francesco Vezzoli qui cherche à trouver sa place dans la Mecque du cinéma et finit mal. Le tout à l’aide de témoignages de prostitués mâles, de profs de gym, d’acteurs pornos, etc.

 Depuis hier, un nouveau projet, Love Stories, est présenté sur le compte Instagram de la Fondation Prada. Il s’agit d’explorer le statut émotionnel, psychologique et sentimental des followers en leur proposant des histoires pour lesquelles ils devront faire un choix entre deux options possibles. Ce jeu, qui comprendra 50 questions, sera accompagné d’images chocs, d’airs d’opéras italiens de Bellini, Puccini ou Verdi et sera commenté par des personnalités du monde de l’art et de la culture. L’idée étant de transformer la nature éphémère et instantanée de ce réseau social en un terrain d’investigation sociale et de provocation intellectuelle. Un nouveau pied de nez sans doute, mi-figue mi-raisin, pour ce trublion qui souvent séduit autant qu’il agace.

-Alain Séchas est représenté par la galerie Laurent Godin (www.laurentgodin.com)

-Vincent Gicquel est représenté en France par la galerie Thomas Bernhard (www.galeriethomasbernard.com)

-Le jeu de Francesco Vezzoli est à suivre sur Instagram Fondazione Prada

Images : Francesco Vezzoli, Four fabulous faces : Joan and Marlene (detail), 2001, 9 éléments, 35 x 35 cm each, laserprint on canvas, metallic embroidery, Consolandi Collection, Milan, Courtesy of the artist; Alain Séchas, Arbres rouges, 2019, huile et mine de plomb sur papier, 66 x 50,3 cm, Courtesy de l’artiste et de la galerie Laurent Godin ;  Vincent Gicquel, C’est pas grave #1, aquarelle sur papier, 110 x 75 cm, 2018 production : La Criée centre d’art contemporain, Rennes courtesy de l’artiste et de la galerie Thomas Bernard – Cortex Athletico, Paris – photo : Rebecca Fanuele

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