de Patrick Scemama

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La République de l'Art
A l’ouest, du nouveau

A l’ouest, du nouveau

Diplômé de l’Ecole supérieure de design de Valenciennes puis des Beaux-Arts de Lyon, Morgan Courtois, né en 1988, s’est mis progressivement à la sculpture (il dit que c’est en grande partie la visite de l’atelier de Brancusi qui lui en a donné le déclic). Puis il a complété sa formation avec la botanique, lui qui a passé son enfance et son adolescence à la campagne, et, après avoir été tenté par l’abstraction pure et le minimalisme, il a tenté de concilier le tout en mariant le plâtre et la résine de ses premiers travaux avec les fruits, les légumes et les fleurs qu’il étudiait et glanait ça et là. De cette hybridation impure entre deux textures qui se contrarient en permanence, de ce mariage improbable entre la matière et l’organique, sont nées des formes étranges, vases, vasques ou pièces décoratives que l’on s’attend à voir dans un jardin à la française et qui sont composées de ces végétaux emprisonnés dans le plâtre et qui pourrissent avec le temps, altérant par là-même la blancheur initiale de la matière.  Il les a appelées « Still life », plutôt que « nature morte », car l’expression anglaise que l’on peut plutôt traduire par « nature silencieuse » lui semblait davantage correspondre à son travail, à l’idée d’une nature qui n’est pas figée mais qui continue son évolution. Et il les a montrées dans plusieurs expositions dont celle de la Fondation Ricard (Rien ne nous appartient, 2017), du Musée d’art moderne de la ville de Paris (Médusa, la même année) et à sa galerie, Balice Hertling. Mais l’idée était bien de renvoyer aux natures mortes de l’histoire de l’art, à ces vanités qui nous rappellent notre finitude et qui évoquent, par la présence d’éléments périssables, la fuite inexorable du temps.

Dans It’s All Tied Up in a Rainbow, l’exposition qu’il présente actuellement à Passerelle, le centre d’art contemporain de Brest, et qui tire son titre d’une chanson de Nina Simone, une chanteuse dont il aime la puissance et la générosité, le jeune artiste montre quatre de ces « Still Life », dont certaines contenant des fraises et des citrons et une de laquelle émane un parfum « rouge paupière », qui a été réalisé avec le nez Barnabé Fillion. Car l’olfactif occupe une part importante du travail de Morgan Courtois et c’est pour un projet consistant à synthétiser l’odeur du métro parisien, Fond de sac, qu’il définit, non sans humour, comme « le portrait d’une identité fictive qui est en situation de burnout », qu’il a remporté le Prix Meurice 2017. « Rouge paupière », c’est aussi la couleur que l’on voit lorsqu’on regarde le soleil et qu’on ferme les yeux, cette gamme chromatique que l’on devine, d’ailleurs, plutôt qu’on la voie, et qui inclut des roses, des violets, des rouges qui s’entremêlent indéfiniment. Et c’est cette gamme que l’on retrouve dans la série de peintures (puisque la pratique de l’artiste ne se réduit à la tridimensionnalité) qui occupent au moins tout un mur de l’exposition, et qui sont juste constituées de différentes résines sur carton, qui semblent se modifier selon la position qu’on occupe dans l’espace et en fonction de la lumière qui les éclaire, confirmant bien que la question du temps est au centre de cette démarche. L’artiste les a intitulées Juin 2018, parce que c’est l’époque de leur réalisation, bien sûr, mais aussi parce que c’est toute l’exposition qui est inspirée par les couleurs, la lumière, la chaleur et les impressions de l’été.

Courtois 5Au centre de celle-ci se trouve aussi une sculpture qui est la seule figure humaine. Il s’agit d’une libre adaptation de L’Hermaphrodite endormi, cette statue de la période hellénistique dont existent plusieurs copies réalisées par les romains au IIe siècle (le Louvre en possède une) et dont les courbes sensuelles ont  suscité tant de commentaires fascinés. Morgan Courtois lui a percé l’oreille, il a placé sur sa tête un bouquet de fleurs qui s’est déjà fané et il a accentué la torsion de son bassin, de manière à ce qu’apparaisse vraiment la double appartenance sexuelle du personnage. Cette sculpture, à la fois érotique et mélancolique, est dans le prolongement d’autres, également inspirées de l’histoire de l’art, comme Daph, la représentation d’un danseur, qui doit autant à un groupe de Carpeaux qui orne la façade du Palais Garnier, qu’à L’Enlèvement de Proserpine du Bernin. Avec son mélange de références culturelles et d’éléments naturels, de vivant et de mort (d’où peut-être la position intermédiaire d’endormi), elle semble synthétiser l’ensemble des recherches de Morgan Courtois, qui dit volontiers vouloir exprimer « le potentiel ou la part pathétique des matériaux ». Curieusement, et apparemment sans que cela ait été programmé, elle fait écho à l’autre exposition que présente actuellement Passerelle et qui réunit, sous la houlette du commissaire Michal Novotny, des oeuvres de Jean-Marie Appriou, d’Ines Doujak, de Than Hussein Clark, de Thomas Jeppe et d’Anna Solal. Intitulée Deux sens du décoratif, celle-ci réfléchit à cette notion d’ornement qui a si longtemps été jugée de manière péjorative par les tenants d’un art « majeur », mais qui est pourtant à la base de l’art moderne (que l’on songe seulement à Matisse !). Dans un entretien donné récemment à Figurefigure, Morgan Courtois dit avoir longtemps culpabilisé avec cette idée de décoratif. « Maintenant, poursuit-il, je considère que l’ornement est lié aux croyances, au désir de convoquer des énergies ». Nul doute en tous cas que celles qui émanent de son travail, à la fois instinctives et mûrement pensées, contradictoires et complémentaires, sont de nature à faire naître une œuvre véritablement singulière et qui n’a pas encore livré tous ses secrets.

GicquelSingulière, l’œuvre de Vincent Gicquel, qui est doublement présent à Rennes, à la fois au sein de la présentation d’une partie de la Collection Pinault au Couvent des Jacobins et au centre d’art La Criée, l’est assurément. Elle ne figure que de petits bonhommes nus, dont l’origine est sans doute à chercher du côté de la bande dessinée, chauves et dotés d’attributs sexuels protubérants, mais dont ils ne semblent pas toujours savoir quoi faire. D’une manière générale, d’ailleurs, on les sent piégés par la tragédie de l’existence, victimes de la condition humaine. Ils sont là, dans des situations qui n’apparaissent pas clairement, comme pris en flagrant délit d’une faute qu’ils auraient commises, mais que ni eux ni le spectateur n’identifient vraiment. Pour autant, rien n’est vraiment tragique dan ce monde-là et la vie continue, toujours proche de l’humour et de l’enfance. On pourrait y percevoir quelque chose de profondément mélancolique -comme dans Vocabulary of Solitude, cette magnifique installation de clowns endormis et couchés au sol que présente Ugo Rondinone au Palais de Tokyo en ce moment (on y revient très vite)-, si la couleur ne donnait toute sa vigueur au dessin et l’éloigner définitivement de tout apitoiement excessif.

Gicquel 2Au sein des œuvres majeures de la collection Pinault, dans un Couvent des Jacobins magnifiquement restauré, une salle a été réservée à Vincent Gicquel, dans laquelle il présente quatre toiles qu’il a spécialement peintes pour l’exposition, dont une, intitulée Debout !, reprend le titre de la présentation toute entière. Ces quatre grands formats sur lequel l’artiste dépose beaucoup de matière (alors que le résultat semble curieusement lisse) représentent quatre moments de l’existence, quatre saynètes aux climats et aux tonalités différentes. A La Criée, c’est une série de grandes aquarelles qu’il a produite et auxquelles il a toutes donné le titre générique de l’exposition, un titre qui pourrait d’ailleurs s’appliquer à l’ensemble de son travail : C’est pas grave. L’aquarelle est un genre que pratique très souvent Vincent Gicquel, lui qui aime que dans sa peinture, tout coule et se délite, mais il la pratique le plus souvent à des fins préparatoires, pour étudier un mouvement ou fixer rapidement une idée. Ici, il a voulu rendre toute sa noblesse au genre et la considérer comme une fin en soi en utilisant des papiers de grande qualité et en l’exécutant d’un seul trait, le plus possible sans repentir. Du coup, il s’est concentré sur ses personnages qui apparaissent encore davantage dans leur nudité, à la fois physique, mais aussi existentielle. Et l’on perçoit d’autant mieux les références littéraires qui nourrissent le travail de l’artiste (ici le Hamlet de Shakespeare) et qui, de Nietzsche à Thomas Bernhardt en passant par Cioran ou Beckett, forment la tribu de ce que l’on pourrait appeler les « pessimistes joyeux ».

It’s All Tied Up in a Rainbow de Morgan Courtois et Deux sens du décoratif, jusqu’au 18 août au CAC-Passerelle, 41 rue Charles Berthelot 29200 Brest (www.cac-passerelle.com)

C’est pas grave de Vincent Giquel, jusqu’au 26 août à La Criée, place Honoré Commeurec, et dans Debout !, présentation de la Collection Pinault au Couvent des Jacobins, jusqu’au 9 septembre, Place Sainte Anne 35000 Rennes (www.criee.org) et (www.exposition-pinault-rennes.com)

Images : 1 et 2, Morgan Courtois, It’s All Tied Up in a Rainbow – Passerelle Centre d’art contemporain Brest © Photos Aurélien Mole; 3, Vincent Gicquel, Vue de l’exposition Debout ! au Couvent des Jacobins à Rennes (23.06 – 09.09.2018) © Photo : Jean-François Mollière avec Aplomb, 2018 , Pinault Collection ; Vincent Gicquel, C’est pas grave #1, aquarelle sur papier, 110 x 75 cm, 2018 production : La Criée centre d’art contemporain, Rennes courtesy de l’artiste et de la galerie Thomas Bernard – Cortex Athletico, Paris – photo : Rebecca Fanuele

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