Du passé, lisons l’avenir.
Dans Une brève histoire de l’avenir, paru en 2006, chez Fayard, Jacques Attali donne sa vision de l’histoire des cinquante prochaines années. Mais il part naturellement du principe que celle-ci ne peut être comprise qu’à partir des 4 millénaires qui nous ont précédés (dans lesquels il voit des figures invariantes comme les couples dialectiques nomadisme/sédentarisation, combat pour la liberté/répression de celle-ci, etc.) et commence donc par raconter sommairement l’histoire de l’homme, de la préhistoire à nos jours, en mettant en particulier en perspective trois ordres qui conditionnent le développement des sociétés humaines : l’ordre rituel (religieux), l’ordre impérial (militaire) et l’ordre marchand (économique). Puis il développe sa propre vision de l’avenir : elle se manifesterait d’abord par le déclin de l’empire américain, qui laisserait place à un univers polycentrique dominé par neuf nations (dont les pays émergents que sont le Brésil, l’Inde ou le Mexique) et dans lequel certains états comme la Chine pourraient se morceler, à l’image de l’ancienne URSS, pour faire apparaître plus de 100 nouveaux pays.
Cette restructuration de la carte du monde s’accompagnerait d’un accroissement de la population mondiale (qui aurait bien sûr des conséquences désastreuses sur le réchauffement de la planète) et d’un nouveau modèle économique (« l’hyperempire »), dans lequel le marché dominerait tout, y compris les temps de loisirs, et qui serait dans les mains d’une caste dirigeante (les « hypernomades »), près la moitié de la population survivant avec à peine deux dollars par jour. Cet écart toujours plus grand entre riches et pauvres pourrait aboutir à des révoltes, ethniques et religieuses, qui elles-mêmes se termineraient en un conflit généralisé (vers 2035), dans lequel des armes de plus en plus lourdes seraient utilisées et qui pourrait faire près de deux milliards de morts. Mais, précise l’écrivain, il est encore temps d’éviter cela en reprenant son destin en main, en privilégiant les valeurs morales et solidaires plutôt que les valeurs marchandes et mettant sur pied ce qu’il appelle une « hyperdémocratie », c’est-à-dire une démocratie fondée sur la participation et la responsabilité des citoyens.
Reçu avec beaucoup de succès, le livre a immédiatement été traduit en de multiples langues et il a même donné lieu à une adaptation en bandes dessinées (par Pécau et Damien chez Delcourt). Et, dans la foulée, on a proposé à Jacques Attali d’en faire le thème d’une exposition. C’est cette exposition qui débute, ces jours-ci, au musée du Louvre, après qu’il ait été envisagé de la faire au Grand Palais ou au Palais de Tokyo. Le commissariat en a été d’ailleurs été assuré par le directeur de ce dernier, Jean de Loisy, auquel s’est adjointe Dominique de Font-Réaulx, qui est conservateur général au musée du Louvre. Mais elle pose une question qui n’est pas nouvelle, mais qui est pleinement justifiée ici : peut-on faire une exposition à partir d’une théorie, d’une réflexion qui prend, en plus, la forme d’un récit ? De l’aveu même des deux commissaires, l’art plastique ne traduit pas la pensée et ne s’articule pas de la même manière qu’un texte littéraire, mais agit par résonances, par analogies ou associations d’idées et l’exposition est plus une variation autour du livre qu’une illustration littérale.
De fait, elle ne peut prendre en compte que la première partie du livre, celle où il est question de l’histoire de l’humanité, la partie « prophétique » étant plus suggérée que véritablement abordée (mais l’idée n’est-elle pas qu’on puisse se faire une vision du futur à partir des siècles passés ?). Pour ce faire, elle réunit aussi bien des œuvres d’art, anciennes et contemporaines, que des mosaïques, des tapis ou des objets utilitaires, et découpe l’histoire en quatre cycles qui correspondent aux grandes étapes de l’humanité. Après un préambule qui figure l’ignorance originelle, symbolisée entre autres par un tableau d’affichage de Kris Martin sur lequel toutes les indications ont été enlevées (Mandi III) et par une copie d’un tableau de Bruegel représentant des aveugles qui tombent dans un trou (La Parabole des aveugles), on passe donc à « l’ordonnancement du monde » avec la création des villes, des cartes, mais aussi des instruments d’échange ou des premières écritures. Puis au « Cycle de l’histoire, avec les Empires et le fracas des armes », c’est-à-dire à la manière dont les hommes ont assis leur pouvoir et se sont battus pour le conserver. Puis à « L’élargissement du monde », c’est-à-dire la manière dont les hommes ont étendu ce pouvoir et comment ils l’ont fait fructifier, notamment grâce à l’industrialisation. Enfin, après avoir évoqué la « Chute des géants », c’est-à-dire l’effondrement des tours du World Trade Center, qui correspond au début du déclin américain, l’exposition pose la question du « Et demain ? » en proposant surtout une installation de l’artiste chinois Ai Weiwei qui est constituée de pierres de fondations de l’époque de la Chine ancienne encastrées dans du bois : sur ces pierres, comme dans un forum, les spectateurs peuvent s’asseoir, réfléchir, parler entre eux et décider si elles constituent les ruines d’un monde irrémédiablement disparu ou les fondements à partir desquels il est possible de tout rebâtir.
Cette exposition pluridisciplinaire, qui télescope les styles, les genres, les médiums, est le type même d’exposition que l’on peut contester : pourquoi ce découpage de l’histoire ? Pourquoi telle ou telle œuvre pour illustrer les périodes choisies ? La liste est longue des reproches qu’on pourrait lui adresser (et le premier : le postulat sur lequel elle repose est-il basé sur des perspectives sérieuses ou relève-t-il de la pure fantaisie ?). Mais une fois qu’on en accepte le principe, elle se relève passionnante. Car grâce à la synergie de nombreuses institutions, elle montre des pièces exceptionnelles que l’on a rarement l’occasion de voir, comme des manuscrits rares, Le Destin des Empires, ce cycles de peintures réalisées par Thomas Cole à New York dans les années 1830 et qui est présenté en France pour la 1e fois, ou les végétaux des zones de l’hémisphère Sud réalisés en cire botanique, au début du XIXe siècle, par l’officier de marine Robillard d’Argentelle, qui ont été restaurés spécialement pour l’exposition et intégrés à une installation contemporaine d’Isabelle Cornaro. Et surtout, elle illustre parfaitement le propos de Jacques Attali en se plaçant d’un point de vue contemporain, en cherchant à montrer en quoi les oeuvres du passé nous éclairent encore aujourd’hui.
Cette confrontation, justement, entre l’ancien et le contemporain en fait le sel, car l’exposition ne se borne pas à une approche historique des époques, mais les mélange, n’hésitant pas à faire figurer des œuvres d’artistes d’aujourd’hui à côté de vestiges archéologiques ou d’enluminures du XVIe siècle. Un certain nombre de pièces, d’ailleurs, et non des moindres, ont été commandées pour l’occasion à des artistes contemporains : outre celles d’Ai Weiwei et d’Isabelle Cornaro, dont il a déjà été question, on pourrait citer l’installation de Geoffrey Farmer, Boneyard, qui accueille les spectateurs, celle, étonnante, de Tomas Saraceno faite à partir de toiles d’araignées ou l’incroyable panneau en bois de Wael Shawky qui évoque la chute de la royauté aztèque. Enfin, certaines œuvres sont des prêts de musées étrangers, comme ce Diary of Clouds d’Ugo Rondinone, qui est autant une référence à la nomenclature des nuages conçue au début du XIXe siècle qu’un journal ou une exploration mélancolique de soi. Petite halte intime au milieu du fracas de l’histoire, cette œuvre est aussi une mise en abyme de l’exposition, puisqu’elle renvoie au passage du temps, aux différentes phases que peut connaître l’homme au cours de sa vie, mais aussi l’humanité toute entière.
–Une brève histoire de l’avenir, du 24 septembre au 4 janvier au musée du Louvre, Hall Napoléon (www.louvre.fr). Catalogue : coédition Hazan/musée du Louvre, avec des textes, entre autres, de Jacques Attali, Jean de Loisy, Dominique de Font-Réaux, 364 pages, 432 illustrations, 45€
-Images : Ugo Rondinone, Diary of Clouds, 2007-2008, bois et cire, Aargau, Aargauer Kunsthaus ©Galerie Eva Presenhuber © Ugo Rondinone ; Stèle de granit, Mésoamérique 200-50 av. J-C., granit, site archéologique de Kaminaljuyù, Guatemala City, Museo Nacional de Arqueologia y Etnologia ©Museo Nacional de Arqueologia y Etnologia, Guatemala City, Bridgeman Images ; copie d’après Pieter I Bruegel (1525-1569), La Parabole des aveugles, Fin du XVIe siècle, huile sur toile, Paris, musée du Louvre ©RMN-Grand Palais (musée du Louvre)/ Michel Urtado
Une Réponse pour Du passé, lisons l’avenir.
Ce n’est pas la peine de lire le bouquin d’Attali pour aller voir cette expo si ce n’est l’intérêt de le ficher pour préparer sciences Po… sincèrement pour l’avoir lu à sa sortie on en oublie vite le contenu. Pour résumer sa thèse, il suffit de prendre dans l’ordre le livre Après l’empire de Emmanuel Todd, fureter sur le site de l’IFRI pour se faire une idée plus précise des enjeux internationaux à venir et de leurs perspectives, puis prendre un bon bouquin de philip k. dick, se faire ensuite la trilogie robocop pour enfin se dire que fukuyama avait raison.
en revanche, certaines oeuvres valent vraiment le déplacement comme, et vous avez raison, celle de saraceno, les magnifiques photos issues de la collection d’Orsay, les ikebana de camille henrot et le dialogue d’une grande intensité entre les toiles de chéri samba et la photo d’alexis cordesse sur le génocide au rwanda (vue à la galerie les douches il y a quelques mois et d’une très grande profondeur d’âme) . Heureusement on a échappé à la « performance » d’Attali en Arles (pour ma part, je me suis endormi)…oups elle est au programme
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