Moulages d’hier et d’aujourd’hui
Aux Beaux-Arts de Paris, les moulages en plâtre sont partout. Dans les couloirs et les cours intérieures, pour que les étudiants aient toujours à l’esprit les plus belles sculptures classiques, mais aussi dans la Chapelle des Petits-Augustins qui fut, rappelons-le, pendant la Révolution et sous l’impulsion d’Alexandre Lenoir, le premier endroit où l’on rassembla des œuvres d’art afin de les constituer en collection publique, l’ancêtre du Musée du Louvre. Et lorsque celui-ci vit le jour, quelques années plus tard et qu’on restitua aux différents monuments les œuvres qui avaient été mises à l’abri pendant la Révolution, on les remplaça, tout au long du XIXe siècle, par des moulages en plâtre qui furent produits sur place. D’ailleurs, aux Beaux-Arts, il existe un atelier de morphologie pour reproduire à l’identique les différentes parties du corps humain.
C’est en se promenant dans ces endroits (ainsi que dans les caves des Beaux-Arts ou dans celles du Musée Calouste Gulbenkian de Lisbonne, partenaire de l’exposition) que les commissaires de cette dernière eurent l’idée d’organiser une rencontre entre ces moulages des temps passés et ceux utilisés par les artistes d’aujourd’hui. Car comme ils le disent eux-mêmes : « Depuis une dizaine d’années, la technique du moulage a trouvé une nouvelle actualité. Elle appartient depuis longtemps déjà au monde industriel, mais elle s’est développée à la faveur de procédés numériques d’enregistrement et de duplication des modèles. Des moulages de toutes sortes prolifèrent dans nos vies quotidiennes et cette présence familière trouve écho dans la production des artistes. »
Ils ont donc fait un choix dans les collections historiques de moulages constituées au XIXe siècle par les Beaux-Arts de Paris et la Faculdade de Belas Artes de Lisbonne et les ont mis en regard d’œuvres d’artistes contemporains qui utilisent cette technique de reproduction et de duplication. Parmi eux, bien sûr, Xavier Veilhan, qui utilise la numérisation et le scan 3D pour créer des sculptures en différentes matières et de différents formats. Mais aussi Jean-Luc Moulène, qui présente ici une série de têtes en ciment qui ont été réalisés à partir de masques de carnaval et qui sont présentées au sol, sur une simple couverture bleue. D’autres artistes ont eu une approche encore plus sophistiquée de l’idée de moulage et de transposition. Oliver Laric, par exemple, qui a créé une plateforme numérique qui rassemble les fichiers des sculptures et des bas-reliefs qu’il a scannés et qui, lorsqu’il produit une copie de sculpture classique, le fait en matériaux synthétiques, colorés ou transparents, qui montre les points d’assemblages et qui inclue plusieurs formats du modèle dans la même œuvre. Ou Charlotte Moth, qui a créé une série de mains en bronze (les siennes, qu’elle a numérisées), tenant toutes un objet trouvé et prises au moment où elles accomplissaient une action de la vie de tous les jours comme accueillir, fermer, présenter, tenir par le bout des doigts, etc. (d’où le nom de Living Images, « images vivantes »).
Mais la technique du moulage peut aussi servir pour garder une trace et immortaliser, des individus ou des bâtiments publics. Michael Dean, par exemple, a moulé les mains de ses enfants pour les inclure, dans différentes postures, le plus souvent joyeuses, à des sculptures en béton coloré qu’il attache entre elles ou les entoure de cadenas d’amoureux, comme sur le Pont des Arts. Et pour aller loin encore dans cette tradition victorienne qui consiste à faire des moulages des têtes ou des mains de ses enfants (manière de témoigner de leur innocence fugitive), Daphne Wright a reproduit ses fils, coupés au niveau du buste, les yeux fermés, dans un réalisme qui ne joue pas l’illusion, mais va à l’essentiel (un moulage de singe de laboratoire qui vient juste de mourir est présenté à côté). Enfin, d’autres artistes s’intéressent au creux des sculptures pour les mouler et dévoiler l’envers. C’est le cas de Francisco Tropa, par exemple, qui a moulé la forme d’une structure située à l’intérieur d’une sculpture en bronze, structure dont on se débarrasse, ensuite pour que la sculpture ne soit pas pleine et donc pas trop lourde. Ou de Christine Borland qui, s’inscrivant dans la lignée du travail de Rachel Whiteread constituant à sculpter le vide, a reproduit l’intérieur d’une œuvre de Barbara Hepworth.
Tous sont placés aux côtés de plâtres anciens, de différentes provenances, de différentes époques et de différentes tailles (c’est l’idée que, contrairement à l’idée reçue, la sculpture est plus souvent multiple qu’unique qui a donné son titre à l’exposition : Sculptures infinies). Et tout un jeu de renvois, de correspondances et de références se fait entre les œuvres, les techniques et entre les formes. C’est un parcours intelligent, à la fois cultivé, ludique et juste.
–Sculptures infinies, jusqu’au 16 février au Beaux-Arts de Paris, 13, quai Malaquais 75006 Paris (www.beauxartsparis.fr). L’exposition sera présentée à partir d’avril au Musée Calouste Gulbenkian de Lisbonne.
Images : Vue de l’atelier de morphologie des Beaux-Arts de Paris © Carlos Azevedo ; Laric, Oliver, The Hunter and His Dog (2015), Courtesy the artist, Tamares Group in collaboration with Zabludowicz Collection and Tania Leigton, Berlin © Gunter Lepkowski ; Verboom, Marion, Achronie n°3 (2016), Résine et plâtre, 240 x 45 cm, Courtesy Galerie The Pil, Istambul © ADAGP, Paris, 2019 © Nicolas Brasseur
Une Réponse pour Moulages d’hier et d’aujourd’hui
Les Beaux-Arts de Paris sont une véritable malle aux trésors.
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