de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Femmes virtuelles

Femmes virtuelles

Depuis plusieurs années -et ce n’est que justice-, la place des artistes femmes dans l’histoire a été réévaluée. Cela a commencé, en particulier, en France, en 2009, avec l’exposition elles@centrepompidou, qui mettait à l’honneur les femmes présentes dans la collection du musée (un documentaire, Elles font l’art, visible actuellement sur Culturebox, marche dans les traces de cet événement). Il y eut aussi, deux ans plus tôt, l’excellent livre de Catherine Gonnard et d’Elisabeth Lebovici, Femmes artistes/artistes femmes, Paris, de 1880 à nos jours, qui, comme son titre l’indique, recensait les femmes artistes de l’Impressionnisme à aujourd’hui. Et récemment, le Mamac de Nice a montré tout ce que les artistes de sexe féminin -et en premier lieu bien sûr Niki de Saint-Phalle- avaient apporté au mouvement pop dans Les Amazones du Pop, une formidable exposition qui devrait être prolongée cet été (cf Le Pop, versant féminin – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)).

Il était donc normal que l’on revienne aux sources et que l’on découvre à quel moment les femmes ont commencé à avoir une reconnaissance dans l’histoire de l’art. C’est ce que fait l’exposition Peintres femmes 1780-1830, Naissance d’un combat, au Musée du Luxembourg, dont l’ouverture a été reportée pour les raisons que l’on connaît, mais à laquelle on peut accéder par le biais d’une visite virtuelle. Elle est passionnante, parce qu’on y voit à quel point la place des femmes est liée à l’Histoire et en particulier à cette période si fondamentale de la Révolution, qui a transformé notre pays en profondeur. On y apprend donc qu’au départ, les seules femmes qui avaient accès à l’art (on parle ici bien sûr de peinture) étaient elles-mêmes issues de famille d’artistes, qu’elles avaient eu une éducation sur le tas. Mais dès les années 1780, la bourgeoisie, en pleine ascension sociale, cherche à imiter les classes privilégiées et à s’en approprier les codes en s’initiant, entre autres, aux pratiques artistiques.

De nombreuses jeunes filles, non issues de famille d’artistes, se forment alors à la peinture et aux arts graphiques dans les ateliers de Greuze, David ou Regnault, c’est-à-dire les figures dominantes du moment, qui les accueillent et se substituent à l’ancien modèle de transmission. Dans un premier temps, l’Académie royale de peinture les interdit, au nom de la bienséance, mais cette interdiction n’a que peu d’effets, d’autant que, quelques années plus tôt, l’institution a déjà dû accueillir en son sein deux des artistes femmes les plus célèbres de l’époque : Elisabeth Vigée Le Brun et Adélaïde Labille-Guiard. La révolution va abolir l’Académie et mettre en place une Société populaire et révolutionnaire des arts qui leur sera plus favorable, bien que, mettant en balance vocation domestique et vocation artistique, elle leur interdit jusqu’en 1794 d’y adhérer. Et le Salon qui, au tournant du XIXe siècle, devient l’événement culturel majeur et le plus fréquenté, va accueillir de plus en plus de femmes, même si leur parcours est affecté par un taux de refus du jury plus important que pour les hommes.

Si les femmes parviennent donc progressivement à se faire une place au sein de la très masculine confrérie des artistes, elles restent cantonnées à un certain nombre de genres. Ceux qui sont considérés alors comme les plus glorieux (la peinture d’histoire et la peinture mythologique) leur sont inaccessibles car ils nécessitent la pratique du « nu », ce qui, pour des raisons morales, reste impossible. Elles se spécialisent alors dans le portrait ou l’autoportrait, dans les scènes d’atelier ou les éloges de la famille et la maternité (en lien ici avec l’idéal révolutionnaire). Toutefois, certaines, comme Angélique Mongez ou Louise-Joséphine Sarazin de Belmont, n’hésitent pas à transgresser les règles et à aborder le paysage ou la scène antique, qui sont davantage réservés aux hommes. Elles ont tendance aussi à peindre de plus petits formats que les hommes, ce qui va paradoxalement influencer le marché : soucieuse d’acquérir de la peinture pour décorer ses intérieurs, la bourgeoisie qui prend peu à peu le pouvoir va se tourner vers ces formats plus « logeables », plus « faciles » et forcément moins onéreux.

C’est ce que montre cette passionnante exposition qui présente 70 peintures venues de collections publiques et privées de 40 artistes femmes dont la plupart restent mal connues (parmi les plus célèbres, outre Vigée Lebrun, on pourrait citer Marguerite Gérard, qui fut l’élève puis la collaboratrice de Fragonard, et Constance Mayer qui fut l’assistante et la maîtresse de Prud’hon). Elle ouvrira au public dès que les conditions sanitaires le permettront, mais en attendant, on peut la voir en visite virtuelle en achetant un mot de passe valable une semaine sur le site du Grand Palais. Deux solutions s’offrent alors à l’internaute: une visite virtuelle autonome avec audioguide où le visiteur circule à son rythme, avec la possibilité de zoomer sur de nombreuses œuvres et de bénéficier de commentaires audios et écrits (5€) ou une visite couplée avec visio-conférence, qui dure une heure en direct, sous la houlette d’un conférencier avec lequel il sera aussi possible d’échanger (9€). Les deux cas ne remplacent pas, bien sûr (ni tout autre approche virtuelle) un contact direct avec les œuvres, mais la technologie est tellement avancée aujourd’hui qu’elle donne un vrai sentiment d’immersion dans les salles et qu’elle permet parfois de prendre davantage de temps, depuis son fauteuil, qu’au milieu d’une foule compacte.

Peintres femmes 1780-1830, Naissance d’un combat, jusqu’au 4 juillet au Musée du Luxembourg, 19 rue Vaugirard 75006 Paris. Les billets pour la visite virtuelle sont en vente sur le site du Grand Palais (www.grandpalais.fr). A noter que d’autres musées proposent désormais des visites virtuelles, pas toujours aussi sophistiquées : les Beaux-Arts de Paris, qui propose une visite de l’exposition sur Le Dessin romantique, de Géricault à Victor Hugo, ou le Centre Pompidou qui propose une exposition sur Kandinsky, Dans l’intimité de Kandinsky, spécialement conçue pour Internet. Ces deux visites virtuelles, toutefois, sont gratuites.

Images : Julie Duvidal de Montferrier, Autoportrait, huile sur toile 65 x 53,5 cm Paris, Beaux-Arts de Paris © Beaux-Arts de Paris, Dist. RMN-Grand Palais / image Beaux-arts de Paris ; vues de la visite virtuelle.

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commentaires

2 Réponses pour Femmes virtuelles

MC dit :

Naissance d’un combat? Mais Madame VigéeLebrun et d’autres citées ici combattaient-elles? La réalité est sans doute moins tranchée et moins manichéenne. Rosa Bonheur quoi qu’on en pense eut une carrière sans nuages , et il faudrait aussi évoquer La Sculptrice Marcello, ou Louise Habbema, peintres reconnues de leur vivant. Ou me trompé-je?

Patrick Scemama dit :

Non, il est vrai qu’Elisabeth Vigee Lebrun n’a pas eu à combattre, puisqu’elle venait d’une famille d’artistes et qu’elle était protégée par la Reine. Et certaines artistes comme Rosa Bonheur (ou George Sand en littérature) ont pu mener leur carrière sans trop d’encombres.Mais elles sont peu nombreuses et pour les autres, la reconnaissance a été lente et elles ont été écartées de bien des domaines réservés aux hommes (situation qui s’est prolongée jusqu’à nos jours et qui persiste même à certains égards aujourd’hui).

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