Dixième anniversaire des résidences d’artistes Hermès
Ces derniers temps -et à propos de différentes expositions-, il a souvent été question des rapports entre l’art et l’artisanat dans ces colonnes (cf Art et artisanat – La République de l’Art (larepubliquedelart.com) et En tissant, en écrivant – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)). Ce sera encore le cas aujourd’hui avec l’exposition Les Formes du transfert qui se tient aux Magasins Généraux de Pantin jusqu’au 13 mars (attention, plus qu’une quinzaine de jours !). Il s’agit de l’exposition qui fête les 10 ans de résidences d’artistes de la Fondation Hermès, qui, on le sait, offre à de jeunes artistes (selon un système de parrainage) la possibilité d’effectuer une résidence dans une de leurs manufactures (cristallerie, orfèvrerie, maroquinerie et soierie). A l’issue de cette résidence, l’artiste est censé produire une œuvre en lien avec la spécialité qui l’a accueilli. C’est un défi pour lui, puisqu’il doit s’adapter à des techniques qu’a priori il ne connait pas, mais aussi pour les artisans, puisque ces derniers doivent répondre aux exigences de l’artiste et souvent expérimenter de nouvelles méthodes.
Ce qui est intéressant, lorsqu’on explore cette exposition qui a valeur de rétrospective (certaines pièces ont déjà été vues lors de précédentes présentations au Palais de Tokyo), c’est de voir les attitudes qu’ont adoptées les artistes face aux matériaux avec lesquels ils devaient travailler. Certains se les sont totalement appropriés pour les intégrer à leurs recherches plastiques (comme Marcos Avila Forero qui, avec les peaux des maroquineries, a conçu des tambours qui renvoient à la double culture africaine et sud-américaine de son pays, la Colombie). D’autres se sont contentés de transcrire dans un matériau spécifique les formes qu’ils développent habituellement (comme Olivier Sévère qui a utilisé le cristal, donc la transparence et la fragilité, pour simuler des pierres lourdes). D’autres encore ont cherché à exploiter la particularité du matériau pour créer de nouvelles formes (comme Simon Boudvin, qui a utilisé des chutes de cuir pour en faire des moules de pièces en plâtre, ou Yuhsin U Chang qui en a fait des sculptures qui tiennent toutes seules). D’autres enfin les ont tout bonnement détournés ou s’en sont servi comme de n’importe quel autre (comme Jennifer Vinegar Avery, qui a travaillé la soierie pour concevoir des poupées, mais qui aurait pu le faire avec tout autre textile).
Mais parfois aussi, comme Io Burgard, ils ont été tellement fascinés par les instruments qu’utilisent les artisans pour leur travail qu’ils s’en sont inspirés pour concevoir des sculptures. Ou ils ont été tellement impressionnés par le matériau lui-même qu’ils ont voulu avant tout rendre hommage à ses possibilités (c’est ainsi que Celia Gondol a imaginé une très belle œuvre qui associe 40 mètres de soie somptueuse à des considérations astrophysiques et des recherches optiques). Dans tous les cas, ils se sont d’abord immergés dans les manufactures où ils résidaient et ce n’est qu’après avoir appris les différentes techniques et avoir noué des liens avec les artisans qu’ils se sont lancés dans leur propre production. Et dans tous les cas, leur production mérite l’attention.
Toutefois, bien sûr, selon les spécialités, les résultats ne sont pas les mêmes. La cristallerie offre sans doute le matériau le plus noble et celui qui est le plus valorisant. On lui doit, entre autres, les sublimes pièces d’Oliver Beer qui font entrer ou étouffent le son, les beaux hommages d’Emmanuel Régent aux ciels de Saint-Louis en Moselle (là où se trouve la cristallerie), qu’il présente aux côtés de sa « mer de glace » inspirée de Caspar Friedrich, ou les fruits de Chloé Quenum qui jouent sur la notion de frontières. La maroquinerie, elle, est aussi source d’inspiration. Outre les pièces déjà citées, on pourrait mentionner celle de Sébastien Gouju qui utilise plusieurs chutes de cuir noir non exploitables pour représenter des plantes domestiques. La soierie a un peu moins la côte, mais elle est à l’origine, par exemple, du lit très voluptueux de Benoit Piéron qu’il définit non sans ironie comme un « support de rêve et espace d’accomplissement du drame du mariage ». Quant à l’orfèvrerie, il est vrai plus contraignante dans son utilisation, elle permet quand même la réalisation de pièces comme les pagodes de Oh You Kyeong ou l’étonnant travail d’étirement d’une cuillère (qui devient corde d’argent sur laquelle joue un violoncelliste) de Clarissa Baumann.
Parmi tous les artistes présents ici, se détache l’intervention – drôlissime et mélancolique – de Bérengère Hénin, qui a été en résidence à la Maroquinerie de l’Allan à Allenjoie, dans le Doubs. Elle en a tiré une œuvre intitulée La Fin de la fête, qui consiste en un guéridon en bois sur lequel un sachet de chips (en cuir) est resté ouvert, tandis que des fanions, des serpentins et des confettis (dans la même matière) témoignent des réjouissances fatiguées qui se sont déroulées là. Du plafond descend une boule à facettes disco, en cuir multicolore elle-aussi. Et au sol gît un poisson pas très en forme, affublé d’une perruque (Portrait de l’artiste désespérée), qui, de temps à autre, se met à chanter “I will survive” d’une voix d’outre-tombe »… Quand on arrive à ce degré d’humour et d’imagination en utilisant des matériaux qui, au début, ne sont pas forcément ceux avec lesquels on a l’habitude de travailler, on se dit que ces Résidences Hermès ne sont pas qu’un pas de côté dans la carrière d’un artiste, mais plus une expérimentation qui peut aller au cœur des choses et toucher à l’essentiel.
–Les Formes du transfert (commissariat : Gaël Charbeau), jusqu’au 13 mars aux Magasins généraux, 1, rue de l’Ancien Canal 93500 Pantin (www.magasinsgeneraux.com)
Images : Oliver Beer, Silence is Golden, 2013 Les osselets de dix oreilles. Or, cristal ; vue de l’exposition ; Bérengère Hénin, La Fin de la fête, 2020 Guéridon en bois et objets en cuir. Vues de l’exposition « Formes du transfert », 10 ans de Résidences d’artistes de la Fondation d’entreprise Hermès, Magasins généraux (Pantin), 2022 © Origins Studio / Fondation d’entreprise Hermès
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