de Patrick Scemama

en savoir plus

La République de l'Art
Avec Mathilde Denize et d’autres, Perrotin mise sur la jeunesse

Avec Mathilde Denize et d’autres, Perrotin mise sur la jeunesse

Elle en a fait du chemin, Mathilde Denize, qui expose aujourd’hui chez Perrotin, depuis sa participation au Salon de Montrouge en 2013 où on l’avait découverte (cf Mathilde Denize – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)) ! A l’époque, elle sortait des Beaux-Arts où elle avait étudié la peinture dans l’atelier de Djamel Tatah, mais elle n’était pas complètement satisfaite de ses premières tentatives picturales et préférait montrer des assemblages d’objets qu’elle présentait sur des socles blancs, comme sur de mystérieux petits autels. Puis elle est revenue à la peinture, mais en l’associant avec ses sculptures, dans un dialogue qui faisait passer de la bi à la tridimensionnalité. Elle s’est essayée à la céramique aussi, qui était un autre moyen de combiner peintures et volumes (cf Bienveillance – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)). Enfin, le déclic, elle l’eut lorsqu’elle fut un an pensionnaire à la Villa Médicis de Rome : considérant les toiles qui s’accumulaient dans son atelier et qui ne lui convenaient toujours pas, elle eut l’idée de les découper pour en faire des costumes qu’elle portait lors de performances ou pour les accrocher au mur, comme une peinture en volumes, dans laquelle elle insérait des objets, une sorte de toile cubiste qui semblerait soudain s’animer.

L’exposition qu’elle présente chez Perrotin, la première dans l’espace parisien -mais le galeriste l’a déjà montrée à New York et sur les foires-, s’intitule Never Ending Story et ce titre est à lui seul un programme. On y voit, au centre de l’espace principal, une œuvre, The Suspended, qui est un peu la quintessence de ce que Mathilde Denize fait aujourd’hui. Elle est composée d’un costume fait de morceaux d’anciennes toiles, près duquel sont disposés différents objets (des coquillages en nacre, un artichaut séché, un œuf en plâtre, etc.), dans une structure en métal qui les intègre tous. Ce qui est différent, par rapport à ses précédentes expositions, c’est que cette fois le costume n’est plus au mur, mais qu’il est suspendu et que cette situation lui donne un autre statut, qu’il devient comme une véritable sculpture autour de laquelle on tourne et qui forme un ensemble avec les objets qui l’entourent. Plus loin, un autre costume connaît le même sort, d’autres sont accrochés aux murs et une série de toiles reprenant les formes obtenues par les assemblages de tissus complètent l’ensemble. Enfin, un papier peint a même été apposé sur un mur, qui reprend ces formes dans une autre configuration. Mais ce qui est étonnant et ce qui justifie le titre de l’exposition, à savoir celui d’une « histoire qui ne finit jamais », c’est qu’on ne sait plus qui a influencé quoi, si ce sont les toiles qui sont à l’origine des costumes ou, au contraire, si ce sont les costumes qui inspirent les toiles et le papier peint.

Au fond, ce qui caractérise la pratique de l’artiste, c’est sa liberté. Liberté de passer d’un registre à un autre, de brouiller les cartes pour entrainer le spectateur dans un jeu de miroir malicieux. Liberté aussi de demander à Olivier Saillard, qui est un historien de la mode, d’écrire un texte pour le catalogue pour aboutir à la conclusion que, justement, tout cela n’a rien à voir avec la mode, qu’on est plus proche de Robert Filliou ou de Dada que d’un quelconque défilé. Mathilde Denize est une originale. C’est une voix singulière qui trace sa propre route et invente des formes nouvelles sans esbrouffe et sans essayer de les justifier par des théories savantes. Il y a peu comme cela en France. On aurait vraiment tort de passer à côté.

Toujours chez Perrotin, qui mise décidément sur la jeunesse en ce début d’année, est présentée à l’étage une exposition collective, Cache-cache, dont le thème est l’exploration des souvenirs d’enfance, qu’ils soient réels ou reconstruits. Elle réunit cinq artistes, qui ne sont pas des artistes de la galerie et dont avait pu découvrir le travail, pour certains, depuis déjà quelque temps. C’est ainsi que Nathanaëlle Herbelin, que l’on avait repérée alors qu’elle n’était encore qu’étudiante aux Beaux-Arts, y est présente avec une toile, Sleep, qui témoigne assez bien de son goût de l’intimité et de la lumière (cf Douceur trompeuse – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)). Dans la même salle, Elené Shatberashvili, dont on avait pu voir le travail lors des Révélations Emerige ainsi que lors d’une exposition collective chez gb agency (cf Collectives – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)), et qui est une amie très proche de Nathanaëlle Herbelin, montre toute une série de peintures. Le thème du double, de l’exil (elle est géorgienne), des perspectives multiples est au cœur des préoccupations de cette très sensible artiste, qui fait preuve d’un sens aigu et très expressif de la couleur.

On ne connaissait pas, en revanche, Nino Kapanadze, elle aussi géorgienne, née en 1990, la même année qu’Elené Shatberashvili, et qui compose de grandes toiles à mi-chemin entre l’abstraction et la figuration. Quant à Dora Jeridi, qui privilégie elle-aussi les grands formats baroques et à l’expressivité puissante, on l’avait découverte cet automne, encore lors des Révélations Emerige, dont elle a d’ailleurs été lauréate. Mais la plus forte impression est peut-être celle produite par la salle consacrée à Adrian Geller, ce très jeune peintre suisse de vingt-cinq ans, qui est déjà représenté par la galerie Super Dakota à Bruxelles. Adrian Geller est un peintre figuratif qui a un univers très personnel, à l’intérieur duquel un homme, souvent nu et tatoué, est confronté aux forces de la nature et à l’animalité. Cet homme a des yeux immenses qui le rapprochent lui-même parfois de l’animal. Pour cette exposition il a conçu une série de grandes toiles, à la composition très ambitieuse, dans lequel le personnage effectivement se cache ou se fond dans la nature, en compagnie de bêtes de toutes sortes. C’est foisonnant d’imagination, d’une inventivité et d’une poésie folles, mais il parvient surtout à ne jamais se noyer dans les détails pourtant nombreux et à garder en vue l’ensemble de la composition.  Pour un artiste de cet âge, cela relève presque de l’exploit.

-Mathilde Denize, Never Ending Story, jusqu’au 11 mars, et Cache-cache, jusqu’au 25 février à la galerie Perrotin, 76 rue de Turenne 75003 Paris (www.perrotin.com)

Images : Vues de l’exposition de Mathilde Denize Never Ending Story à la galerie Perrotin (Décor mural original par Mathilde Denize- édité par la maison Bien Fait. www.bien-fait-paris.com), 2023. ©DENIZE/ADAGP, Paris, 2023. Photo: Claire Dorn. Courtesy of the artist and Perrotin ; Vue de l’exposition Cache-cache à la galerie Perrotin, 2023 avec des oeuvres 1. d’Elené Shatberashvili et 2. d’Adrian Geller. Photo: Tanguy Beurdeley. Courtesy of all the artists and Perrotin

Cette entrée a été publiée dans Entretiens/Portraits.

0

commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

*