de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Suzy Solidor, chanteuse et muse à la fois

Suzy Solidor, chanteuse et muse à la fois

Il est des expositions qui ne payent pas de mine, mais qui sont de petits bijoux. C’est le cas de l’exposition Suzy Solidor, une vie d’images, qui se tient au Château Grimaldi de Cagnes-sur-Mer. Suzy Solidor, pour ceux qui ne la connaitraient pas, était une chanteuse et actrice née en 1900 à Saint-Malo, qui prétendait descendre du corsaire Surcouf et dont le vrai nom était Suzanne Marion. C’est parce qu’elle grandit près de la Tour Solidor, à Saint-Servan, qu’elle décide plus tard d’utiliser cette appellation comme nom de scène. Après la première Guerre, elle monte à Paris et devient célèbre en interprétant des chansons « réalistes », surtout de sensuelles chansons de marins, ce qui lui vaut le surnom de « L’Amiral ». Elle se produit avec succès en 1933 à L’Européen, puis ouvre un cabaret rue Sainte-Anne, La Vie parisienne, où se produit le jeune Charles Trenet.

Pendant la deuxième Guerre, La Vie parisienne est fréquenté par de nombreux officiers allemands, ce qui, à la Libération, lui vaudra un blâme et l’interdiction d’exercer pendant 5 ans. Elle part alors aux Etats-Unis et, à son retour, ouvre un nouveau cabaret à Paris, rue Balzac. Elle y reste jusqu’en 1960 et décide alors de se retirer sur la Côte d’Azur. Elle ouvre encore un cabaret à Cagnes-sur-Mer, Chez Suzy, où elle officie jusqu’en 1967, avant de prendre la direction d’un magasin d’antiquités, place du Château, dans la même ville. C’est là qu’elle décède en 1983.

Mais Suzy Solidor n’est pas seulement devenue célèbre grâce à ses talents de chanteuse et d’actrice, même si elle a laissé derrière elle de nombreux enregistrements (à noter qu’elle publia aussi plusieurs romans). Elle fut aussi une des premières femmes à afficher ouvertement son homosexualité. En arrivant à Paris, elle vécut pendant plus de dix ans avec Yvonne de Bremond d’Ars, une célèbre antiquaire qui la façonna et lui fit adopter le style « garçonne », avec cheveux courts et silhouette androgyne (elle apparut d’ailleurs en 1936 dans le film d’après le roman de Victor Margueritte, La Garçonne). Et ce style novateur, synonyme de liberté et d’émancipation, fit qu’elle devint l’égérie et la muse de tout ce que Paris comportait d’artistes et de photographes en vogue à l’époque. Il y a cinquante ans, Suzy Solidor fit don à la ville de Cagnes d’une quarantaine de portraits qui y sont exposés en permanence. Mais pour fêter ce cinquantenaire, la municipalité a voulu réaccrocher cette collection, en l’enrichissant d’autres portraits venus de collections privées et de l’extraordinaire fond photographique laissée par la chanteuse.

C’est ce qu’on peut voir actuellement sur deux étages du Château-Musée. Et le résultat est étourdissant. Car Suzy Solidor fut peinte par les plus illustres artistes de son temps, de Picabia à Chapelain-Midy, en passant par Félix Labisse, Paul Colin, Raoul Dufy, Fougita, Marie Laurencin, Cocteau bien sûr ou encore Tamara de Lempicka (particulièrement expressif est le portrait réalisé par Christian Bérard). Elle commanda même un portrait à Francis Bacon, mais fut tellement déçue du résultat qu’elle le vendit ; Bacon le racheta et le détruisit. Mais elle posa aussi pour d’autres, beaucoup moins connus et qui sont aussi présents dans cet accrochage, ce qui nous vaut une alternance de toiles de première importance et d’œuvres mineures. Et la partie photographique n’est pas moins importante, car l’artiste, qui fut aussi mannequin, est passée sous l’objectif de photographes comme Man Ray, Germaine Krull, George Hoyningen-Huene ou encore Laure Albin-Guillot, qui réalisèrent tout aussi bien des photos de mode que de remarquables nus. Et quand on dira que l’exposition est complétée de nombreux documents ou objets personnels de la chanteuse (dont son piano blanc) et qu’on peut y entendre quelques-uns de ses enregistrements, on comprendra que si l’on est encore dans la région, il serait vraiment dommage de ne pas faire un détour par Cagnes-sur-Mer.

Suzy Solidor, une vie d’images, jusqu’au 6 novembre au Château-Musée de Cagnes-sur-Mer (Château-Musée Grimaldi – Cagnes-sur-Mer)

Images : Suzy Solidor par Christian Bérard, Francis Picabia et Paul Colin (photos DR)

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