de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Le Mac Val revient à la base

Le Mac Val revient à la base

On associe tellement le Mac Val de Vitry à l’art contemporain que l’on oublie que parmi les 2500 œuvres qui constituent sa collection, bon nombre ne sont pas toutes récentes. En effet, depuis qu’il a été créé, il y a une quinzaine d’années, le Musée s’est appliqué à circonscrire la scène artistique française depuis les années 50 (il est d’ailleurs le seul dans ce cas). Et certaines pièces, donc, datent de ces années-là, des œuvres que l’on peut qualifier « d’historiques » ont été acquises, mais on les avait peu vues ou on les avait un peu oubliées.

Pour sa première exposition, le nouveau directeur, Nicolas Surlapierre, qui succède à Alexia Fabre, partie aux Beaux-Arts, a choisi de les remettre en avant. Envisageant la globalité de la collection, il s’est rendu compte que celle-ci était suffisamment vaste pour créer une sorte d’histoire de l’art contemporain depuis les années 50, c’est-à-dire après la Guerre, qui est la date à laquelle on fait communément débuter cette forme d’art. Et il a donc représenté tous les mouvements, tendances, associations qui ont vus le jour depuis cette époque, souvent en réaction ou parallèlement les uns aux autres.  Mais plutôt que de structurer l’accrochage en donnant le nom de ces mouvements et en constituant ainsi un parcours uniquement didactique, il a préféré choisir l’œil comme dénominateur commun, pour rappeler l’importance du flair et de la sensibilité, du visible et du sensible au sens où Merleau-Ponty a pu le définir dans L’œil et l’Esprit.

L’exposition est ainsi divisée en 16 sections, qui portent toutes un titre commençant par « L’œil »… La première, « L’œil retors », est surtout constituée d’une œuvre étrange d’André Raffray, qui raconte, dans un style un peu naïf, douze étapes importantes de la vie de Marcel Duchamp. C’est l’occasion de rappeler à quel point l’inventeur du Ready-Made, même s’il appartient à une génération plus ancienne, est le père de l’art contemporain, à quel point il en a jeté les bases. Puis vient « L’œil abusé », qui est un ensemble de quinze peintures dont l’esthétique reprend des mouvements artistiques du XXe siècle. Censées appartenir à un collectionneur du nom de Sergio Bonati, ces œuvres sont des faux qui ont été créés en 1988 par Jacques Charlier, qui les a aussi accompagnées d’une fausse notice biographique. Comme le dit le commissaire lui-même : « Mettre aujourd’hui l’œuvre de Jacques Charlier en exergue d’un parcours historique retraçant l’histoire d’une collection et des mouvements artistiques, c’est accepter de devenir complice d’une vaste supercherie. C’est surtout reconnaître les difficultés inhérentes à l’historicisation ou prendre de la distance sur ce que font les musées aux récits ».

Après cet avertissement et l’aveu de la fragilité même de la muséographie, vient « L’œil imprévisible », qui regroupe ce que l’on a appelé rapidement « l’informel », c’est-à-dire l’abstraction avec Martin Barré, Olivier Debré ou Alberto Magnelli. Puis « L’oeil moteur » avec l’art optique incarné par Soto, Pol Bury ou Luis Tomasello. Puis « L’œil impossible », avec la géométrie d’une Geneviève Asse ou d’un Philippe Lepeut. Puis « L’œil biface » avec la Figuration narrative d’un Monory, Rancillac, Recalcati ou encore Télémaque. Puis « L’œil curieux », qui est la survivance du surréalisme, avec des œuvres de Malaval, de Pommereulle ou d’Erik Dietman. Puis « L’œil attendri » avec la photographie humaniste de Doisneau, François Kollar ou Willy Ronis. Puis « L’œil pilote », avec des œuvres de Dubuffet qui a eu un lien très fort avec le département du Val-de-Marne et dont la sculpture située devant le musée en est un peu devenue l’emblème. Etc., etc., jusqu’à « L’œil blessé » consacré entièrement à Sarkis, avec Trésors de la Mémoire, une très importante installation composée de onze photographies tirées de films réalisé entre 1927 et 1992 et dans laquelle les enfants occupent le premier plan.

En fait, c’est vraiment toute l’histoire de l’art contemporain en France qui défile sous défile sous nos yeux, avec aussi le Nouveau Réalisme (« L’œil Restany ») ou Supports/Surfaces (« L’œil libéré »). Et c’est aussi l’opportunité de voir de très belles pièces, qui n’avaient pas été beaucoup montrées précédemment. On pourrait certes reprocher à Nicolas Surlapierre de s’être arrêté aux années 80 (pas de trace de la Figuration libre ou de l’émergence de la photo et de la vidéo des années 90). Mais il est vrai que le Mac Val l’a fait à d’autres occasions. On pourrait lui reprocher aussi l’absence de certains grands noms ou le regroupement un peu artificiel de certains artistes. Mais ce sont les limites de la collection et l’arbitraire d’un choix dont il a lui-même conscience. Quoiqu’il en soit, telle qu’elle se présente (avec aussi une très belle salle consacrée au cinéma expérimental, « L’œil bobine »), L’œil vérité (c’est le titre de l’exposition) est un formidable apprentissage de l’art contemporain pour ceux qui ne le connaisse pas (ou mal), une salutaire manière de réviser ses classiques pour ceux qui en sont davantage familiers et, pour le nouveau directeur, une base à partir de laquelle il pourra travailler.

L’œil vérité, jusqu’au 22 septembre 2024 au Mac Val, Place de la Libération 94400 Vitry-sur-Seine (www.macval.fr)

Images : Hervé Télémaque, Tableau engagé, 1967., Acrylique sur toile et bois, 60,5 x 140,2 x 4,6 cm. Collection MAC VAL – Musée d’art contemporain du Val-de-Marne. © Adagp, Paris 2023. Photo © André Morain ; Martin Barré, 67-AZ-2, 1967., Peinture à la bombe aérosol sur toile, 113 x 105 cm. Collection MAC VAL – Musée d’art contemporain du Val-de-Marne. © Adagp, Paris 2023. Photo © Claude Gaspari ; Robert Breer, Pontus Hultén, Un Miracle, 1954., Film 16 mm transféré sur Betacam Digital 4/3, couleur, muet, 22 ». Collection MAC VAL – Musée d’art contemporain du Val-de-Marne. © Kate Breer. Photo © André Morin.

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