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Patrick Faigenbaum dans l’intimité indienne

Patrick Faigenbaum dans l’intimité indienne

Patrick Faigenbaum est un portraitiste. C’est en tous cas comme cela qu’il s’est fait connaître, dans les années 80, avec ses très belles séries de photos en noir et blanc de familles nobles italiennes, qu’il faisait poser de manière très hiératique dans les maisons qui étaient les leurs. Mais il a aussi photographié des paysages et des villes comme Prague, il y a quelques années, placée sous l’ombre de Kafka, Tulle ou Santulussurgiu, ce village de Sardaigne d’où sa compagne est originaire et où vivent encore ses proches. Quoiqu’il en soit, qu’il s’agisse de gens ou de lieux, que les images soient en couleur ou en noir et blanc, ce qui guide d’abord sa démarche, c’est un rapport à l’intimité : chez Patrick Faigenbaum, toute photo résulte d’une connaissance et d’un approfondissement du sujet ; le regard n’est jamais superficiel ou anecdotique, il scrute et va à l’essentiel ; il est toujours en empathie et en harmonie profonde avec ce qu’il montre.

Une même approche préside à la réalisation des photos qu’il présente actuellement à la Fondation Henri Cartier-Bresson, qui sont réunies dans un livre publié par Lars Müller et qu’il a prises, depuis quelques années, au cours de différents voyages effectués en Inde et plus spécifiquement à Calcutta (il a été lauréat, en 2013, du Prix Henri Cartier-Bresson, qui lui a permis de mener à bien ce projet). En fait, initialement, Patrick Faigenbaum voulait faire le portrait de la peintre Shreyasi Chatterjee, qui est une des figures importantes de l’art contemporain indien, et de son environnement proche. Puis il s’est intéressé au quartier dans lequel elle habite (Lake Town), situé au nord de la ville, puis, progressivement, aux autres quartiers. Puis il a fait connaissance avec des musiciens et lui, pour qui la musique a toujours occupé une place importante (une de ses photos les plus connues représente un magasin de luthier), s’est mis alors à photographier les interprètes de musique traditionnelle. Puis ce sont les représentations de théâtre bengali qui ont retenu son attention ou les lieux liés à la mémoire cinématographique, etc. A chaque fois, une rencontre en suscite une autre, un centre d’intérêt ouvre sur un suivant, comme des cercles concentriques qui s’élargissent peu à peu. Et c’est d’ailleurs cette notion de cercle que reprend le livre, qui classe les images en sept séquences et explicite parfaitement le travail de l’artiste (faute de place, l’exposition ne présente qu’une partie des photographies, dans un accrochage tout à fait différent). Rien n’est dû au hasard, tout est le fruit d’une médiation humaine et, en ce sens, on peut dire que toutes les photos de Patrick Faigenbaum sont des portraits. Mais il faut du temps pour arriver à une telle proximité avec les êtres et les choses, du temps et une patience de sioux.

Patrick_Faigenbaum_Shreyasi Chatterjee au travail, en train de broder, Lake Town, Kolkata nord, mars 2011En résulte une série de photos somptueuses, qui n’ont aucune vocation à être documentaire, mais qui finissent par être plus savantes et informatives que bien des photos qui, elles, voudraient l’être et qui évitent tout misérabilisme. Patrick Faigenbaum avance par touches, reste à la marge, en se souvenant toujours qui il est et d’où il vient : « Il s’agit d’éviter l‘image de l’Inde éternelle ou pittoresque, sans pour autant favoriser une idée tout aussi caricaturale de la modernisation », explique-t-il. Sous son objectif, apparaissent alors des portraits posés aussi bien que des scènes de rue ou des paysages et des natures mortes qu’il agence à son goût. Et comme l’homme vient de la peinture et qu’il a une connaissance parfaite de l’histoire de l’art, on est toujours frappé par la justesse et la rigueur de ses compositions, la subtilité et la maîtrise de ses sources lumineuses, le raffinement et la puissance de son chromatisme. Et que dire de ses tirages, qui alternent les formats comme autant de tableaux ? Dans les photos noir et blanc, il joue sur toutes les nuances de gris, « le gris qui donne à l’air ce poids de cendres qui favorise la modulation de la lumière et le modelé des formes », précise Jean-François Chevrier, historien d’art et vieux complice de l’artiste, qui a accompagné la publication du livre. Dans les photos en couleur, il parvient à une délicatesse qui donne à l’image un côté presque « soyeux ».

Mais il s’agit aussi d’un travail sur le temps, une notion chère à cet artiste obsédé par la mémoire, qui a travaillé sur la statuaire antique et livré des photos bouleversantes des membres de sa famille, dont sa mère. D’où le double titre de l’exposition, Kolkata/Calcutta, « Kolkata » étant le nom actuel de « Calcutta », la ville ainsi nommée par les Britanniques. Et c’est cette double trace de l’ancien et du moderne que cherche à traquer Patrick Faigenbaum, lui qui, de la même manière, s’est toujours volontairement situé en dehors « du champ de l’immédiatement contemporaine et factuelle » tout en restant très attentif aux préoccupations d’aujourd’hui. En témoigne en particulier une photo d’enfants qui jouent devant un buste du grand poète Tagore. Patrick Faigenbaum a toujours magnifiquement su photographier les enfants, en respectant leur grâce inquiète, la gravité de leur insouciance (les portraits de son fils Raphaël sont parmi les plus beaux jamais réalisés). Là, devant la statue d’une des figures les plus illustres de l’histoire indienne, ils réconcilient le passé et l’avenir,  perpétuent la tradition et montrent que, malgré la modernisation, ce beau pays n’a rien perdu des valeurs qui le fondent et lui donnent son identité.

Kolkata/Calcutta de Patrick Faigenbaum, jusqu’au 26 juillet à la Fondation Henri Cartier-Bresson, 2 impasse Lebouis 75014 Paris (www.henricartierbresson.org). L’exposition sera présentée à New York à l’automne, dans le cadre de l’alliance entre la Fondation d’entreprise Hermès et l’Aperture Foundation. D’autres photos de cette série seront présentées du 10 juin au 25 juillet à la Galerie Nathalie Obadia, 18 rue du Bourg-Tibourg, 75004 Paris.

Le livre est paru aux Editions Lars Müller et contient des interventions de Jean-François Chevier et France Battacharya, une spécialiste de la culture bengalie (164 pages, 150 illustrations, 45€)

Images : Patrick Faigenbaum, Pastèques dans le quartier de Rajabazar, Kolkata nord, juillet 2014 ; Shreyasi Chatterjee au travail, en train de broder, Lake Town, Kolkata nord, mars 2011 © Patrick Faigenbaum

 

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commentaires

2 Réponses pour Patrick Faigenbaum dans l’intimité indienne

M. Raezmut dit :

C’est con, ce que vous dites là, JC.

ueda dit :

Hum… Je ne suis pas vraiment en désaccord avec monsieur Raezmot, camarade JC.

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