de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Retouver l’origine

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Exposer des œuvres contemporaines dans des musées classiques ou des lieux de patrimoine a souvent donné lieu à des contestations et des polémiques. On l’a vu avec Jan Fabre ou Wim Delvoye au Louvre ; on l’a vu avec Jeff Koons ou Murakami au Château de Versailles. A chaque fois, les détracteurs de cette confrontation ont posé les mêmes questions : « Que font ces œuvres dans de tels lieux ? Quel dialogue engagent-elles avec les œuvres déjà présentées ? Ne s’agit pas d’un simple effet de mode ou d’une pure provocation ? »  Dans le cas du Château de Versailles, on a même accusé Jean-Jacques Aillagon, le président de l’Etablissement public d’alors, de promouvoir les artistes collectionnés par François Pinault, qu’il conseillait précédemment, afin de leur donner davantage de légitimité. Et dans certains cas, ce sont les organisateurs eux-mêmes, qui censurent les artistes, comme Catherine Pégard, la nouvelle présidente de Versailles, qui n’autorisa pas, l’année dernière, l’artiste portugaise Joana Vasconcelos à accrocher à l’intérieur du Château sa sculpture La Fiancée, un lustre du XVIIIe siècle uniquement composé de tampons hygiéniques, sous prétexte qu’elle n’avait pas sa place dans le contexte (l’œuvre fut finalement montrée au Centquatre).

Ce n’est pas l’exposition qui vient de s’ouvrir, toujours dans le prestigieux cadre du Château de Versailles, qui devrait susciter les mêmes passions. D’abord parce qu’en dehors de trois pièces (dont le sublime Respirare l’ombra) qui sont exposées à l’intérieur même du Château, l’essentiel des œuvres a été placé dans les jardins. Ensuite parce que l’artiste qui a été invité cette année pour une nouvelle intervention ne fait pas partie des artistes pop ou néo-pop qu’on a pu voir jusqu’alors, mais inscrit sa démarche dans une réflexion profonde sur la  nature et la culture et travaille des matériaux de manière toute classique : Giuseppe Penone.  Et il semblerait d’ailleurs que ce soit le sculpteur italien lui-même, rattaché au mouvement de l’Arte Povera, qui ait choisi de se focaliser sur l’extérieur, et en particulier sur l’Allée centrale conçue par Le Nôtre : « Le lieu est tellement vaste que j’ai immédiatement pensé qu’il fallait concentrer les oeuvres et les placer plutôt à l’extérieur, a-t-il déclaré dans un entretien donné au Quotidien de l’art.(…) En fait, c e q u i m ’ i n t é r e s s a i t surtout, ce sont les jeux de perspectives extérieures. L’axe majeur est une réalité qui dialogue directement avec l’architecture de la façade. L’autre réalité de ce jardin, ce sont les bosquets, lieux plus intimes, plus en dialogue avec la nature. ».

 

Et dans cette perspective grandiose, il a placé toute une série d’arbres en bronzes, tantôt allongés, segmentés et laissant réfléchir la lumière de l’intérieur (Spazio di luce), tantôt à la verticale et foudroyés (Albero folgorato), tantôt retournés et laissant pousser sur ses racines un vrai végétal (Le Foglie delle radici). Mais l’œuvre la plus parlante est sans doute Tra scorza e scorza (Entre écorce et écorce), qui montre un arbre véritable qui pousse entre deux écorces monumentales en bronze. Car elle est la plus révélatrice du dialogue voulu par l’artiste avec le jardin à la française de Le Nôtre : dans le jardin à la française, la nature est domestiquée par l’homme (encore que, selon Penone, il s’agit d’une imposture, puisque, pour être domestiquée, elle nécessite un entretien régulier) ; dans son travail au contraire, c’est la nature qui reprend le dessus sur l’intervention de l’homme, ainsi qu’en témoigne cet arbre qui continuera à grandir et à s’épanouir, malgré la contrainte que l’humain lui impose. On est là au cœur de la problématique de l’artiste qui, depuis ses premières œuvres, comme cette main en bronze plantée dans le tronc d’un arbre, montre le pouvoir de la nature sur la culture et s’interroge sur l’idée de l’empreinte.

Penone 2De même qu’on touche à l’essence de son travail avec les pièces en marbre de Carrare, les seules pièces, d’ailleurs, produites pour l’exposition, présentées plus loin  (Sigillo). Là, le geste du sculpteur a été de dégager les veines du marbre pour en révéler la forme intérieure, de même qu’il a déjà pu le faire avec certains troncs d’arbre, de manière à opérer une synthèse, à retrouver les structures initiales et archétypales, celles qui remontent à l’origine et permettent de concevoir le passage du temps (la perception du monde) à travers le matériau. Enfin dans un hameau un peu à l’écart et refermé sur lui-même, le Bosquet de l’Etoile, Penone a installé sept arbres, plus rapprochés les uns des autres, qui forment comme une sorte de constellation. Là, le promeneur peut s’allonger dans l’herbe, passer même sous les arbres (car certains sont en lévitation) ou jouir tout simplement de ces modèles d‘équilibre, qui ne sont pas sans évoquer certains rituels païens.

Bref, une exposition moins bling-bling que celles auxquelles la demeure de Louis XIV nous avait habitués précédemment, mais autrement plus subtile et plus réfléchie.

 

Penone Versailles, dans les Jardins du château jusqu’au 31 octobre, exposition accessible gratuitement, sauf les jours des Grandes Eaux musicales. A noter qu’une exposition de sculptures et d’œuvres sur papier de Giuseppe Penone se tient aussi à la galerie Marian Goodman, 79 rue du Temple, 75003 Paris, jusqu’au 22 juin.

Images: Spazio di luce, Elevazione Courtesy Giuseppe Penone – photo Tadzio

 

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