de Patrick Scemama

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La République de l'Art
D’ailleurs et d’ici

D’ailleurs et d’ici

Le Palais de Tokyo aime les chemins de traverse, c’est une de ses grandes qualités. Il y a quelques années, il avait présenté Le Bord des mondes, une exposition qui présentait des oeuvres dont on ne savait pas si elles relevaient du champ de l’art ou pas. L’an passé, pour son exposition estivale consacrée à l’enfance, il avait chargé l’artiste Clément Cogitore de demander à des artisans de concevoir des pièces qui étaient comme des lieux de transitions entre les œuvres plus traditionnellement répertoriées. Le résultat ne s’est pas toujours révélé parfaitement convaincant (surtout dans le second cas), mais il montre la volonté du centre d’art d’abolir les frontières, de prouver que l’art ne se trouve plus forcément aujourd’hui là où on l’attend le plus.

C’est ce qui guide encore Prince-sse-s des villes, l’exposition qui vient de s’ouvrir, sous la houlette d’Hugo Vitrani et de Fabien Danesi, et qui durera tout l’été. Partant du principe que des capitales comme Paris, Berlin ou New York n’ont plus rien à prouver, l’idée est cette fois d’aller fureter dans les mégapoles qui « connaissent une expansion chaotique, mêlant les transferts de capitaux aux connections technologiques dans les centres financiers, ce qui génère des marges citadines porteuses de nombreuses inégalités ». Dans ce tourbillon incessant et désordonné, « les artistes qui émergent sont alors les flâneurs du XXIe siècle, les hackers de nos réponses au milieu urbain trop souvent fonctionnelles et standardisées. »Il ne s’agit pas tant de parler des villes à travers les artistes, que d’artistes qui se nourrissent des contrastes et des contradictions émanant de ces villes.

Pour illustrer leur propos, les commissaires ont donc choisi cinq villes de différents continents, qui se distinguent par la richesse de leur scène artistique : Dacca, la capitale du Bengladesh, Lagos, la plus grande ville du Nigéria, Manille, Mexico et Téhéran : « Autant d’archi-villes rhizomatiques choisies subjectivement, guidés par notre curiosité du moment », avouent-ils avec simplicité. Au moins les choses sont claires et on ne peut pas les accuser d’hypocrisie : c’est bien leur choix et leur chois seul, même pas guidé par un comité scientifique comme a pu l’être l’exposition sur les Jeunes artistes en Europe proposée par la Fondation Cartier récemment, ni par une unité thématique. Un de leurs soucis a été de ne jamais tomber dans le folklorisme, sauf si les artistes y avaient eux-mêmes recours dans leurs œuvres. Et ils n’ont pas voulu se limiter aux artistes qui se définissent comme tels, mais ont ouvert leur panel à des tatoueurs, des danseurs, des musiciens, des graffeurs, etc.

Du coup, que voit-on dans l’intégralité des espaces du Palais de Tokyo ? Des murs tagués, des vidéos, des drapeaux de collectifs LGBT, des reconstitutions d’ateliers ou de lieux d’expositions, des photos ou des vêtements de fashion designers délirants présentés dans une scénographie labyrinthique d’Olivier Goethals. A une ou deux exceptions près, tous les artistes présentés ici sont parfaitement inconnus en France. Les couleurs éclatent, les sons fusent, les matières débordent, les univers s’entrechoquent, les énergies se diffusent, sans qu’une pièce n’ait de réel rapport avec celle qui suit ou qu’on cherche à classer les œuvres par provenance. Tout cela pourrait avoir un côté foutraque, mais très festif et très stimulant, s’il en sortait quelque chose de neuf et surtout qui se tienne sur un plan artistique. Or – et c’est là où le bât blesse-, tout, à part quelques propositions, comme celle du peintre iranien Farrokh Mahdavi, reste extrêmement faible dans cette exposition, souvent sympathique, mais inabouti et pauvre sur un plan formel.  On veut croire les commissaires qui nous disent que les choses intéressantes se passent désormais en dehors de l’Occident et que l’installation monumentale du philippin Doktor Karayom  ou que les photos du nigérian Stephen Tayo vont révolutionner le monde de l’art, mais encore faudrait-il qu’il nous en donne la preuve, ce qui n’est absolument pas le cas ici (d’ailleurs, pas plus qu’on ne comprend véritablement le choix des artistes, on n’a d’informations sur ce qui constituent les spécificités de ces scènes artistiques). Et on peut se demander s’il est bien raisonnable que le Palais de Tokyo confie l’intégralité de ses espaces –et le budget qui va avec- à la subjectivité pure de deux commissaires, certainement talentueux, mais qui ne cherchent pas à justifier davantage leur parti-pris. Il est vrai que l’institution est toujours sans directeur (Jean de Loisy l’a quittée pour les Beaux-Arts de Paris depuis le début de l’année), sans doute dans une période de flottement et sans personne pour cadrer un peu les choses…

Si on veut avoir la preuve que, malgré tout, il existe encore en France ou en Europe de jeunes artistes prometteurs, il faut alors se rendre à la galerie Praz-Delavallade qui, dans une exposition qui porte le joli titre de Les Fleurs de l’été sont les rêves de l’hiver racontés le matin à la table des anges, présente le travail de cinq jeunes peintres. Là non plus, aucun point commun entre les pratiques (si ce n’est, évidemment, le médium), mais des univers qui se répondent, se complètent, s’interrogent. Outre le travail très subtil et sensible de Golnaz Payani, une jeune artiste d’origine iranienne qu’on avait rencontrée, il y a trois ans, au Salon de Montrouge et qui se nourrit de la notion de souvenir et d’oubli (cf http://larepubliquedelart.com/golnaz-payani/), on découvre la virtuosité de Jean Claracq, peintre de miniatures et d’icônes, qui reproduit des scènes de la vie quotidienne avec de nombreuses références à l’histoire de l’art et une précision diabolique. Ou celui de Karine Rougier qui flirte avec l’humour et le surréalisme, dans d’amusantes compositions, ou encore celui d’Apolonia Sokol qui représente les personnes de son entourage à l’échelle 1. Enfin celui de Daniel Horowitz qui met en scène des objets d’apparence disparate, mais dans un ensemble onirique, qui devient psychologiquement cohérent. Le tout se laisse voir avec bonheur et légèreté. A propos, l’exposition de rentrée du Palais de Tokyo, Futur, Ancien, Fugitif, ne promet-elle pas des « regards sur la scène artistique française d’aujourd’hui » ?

Prince-sse-s des villes, jusqu’au 8 septembre au Palais de Tokyo (www.palaisdetokyo.com)

Les Fleurs de l’été sont les rêves de l’hiver racontés le matin à la table des anges, jusqu’au 20 juillet à la galerie Praz-Delavallade, 5 rue des Haudriettes 75003 Paris (www.praz-delavallade.com)

 

Images : Farrokh  Mahdavi, Scarp Work, 2019, Crédits : Farrokh Madhavi et Dastan’s Basement ; Stephen Tayo, Série Ibeji, 2017 – 2019, Crédits : Stephen Tayo ; Jean Claracq, L’Enseigne de Gersaint 2018, tempéra sur papier, 15,8 x 12cm, Photo : Rebecca Fanuele, courtesy of the artist

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