Galerie Thomas Bernard – Cortex Athletico
C’est à Bordeaux, la ville où sa famille, originaire de Bretagne, vient d’aménager, que Thomas Bernard, le fondateur de la galerie Cortex Athletico, a la révélation de l’art. Car pour l’occuper le mercredi après-midi, on l’inscrit à un atelier pour enfants, les « Ateliers du regard », qui a lieu au CAPC, le fameux musée d’art contemporain de la ville. « Là, explique-t-il, j’ai été confronté à des choses que je n’avais jamais vues, qui ne servaient à rien et que des gens faisaient simplement parce qu’il en avait envie. Et j’ai décidé moi-aussi de faire ma vie dans ce milieu. » Mais comme pour le jeune homme, l’important, dans l’art, « est d’emblée le rapport au monde », il décide, avant de se lancer à proprement parler dans des études d’art, de passer un bac éco, « de manière à pouvoir lire le journal en comprenant le plus possible ». Puis il fait les Beaux-Arts de Bordeaux et de l’histoire de l’art à Rennes tout en assurant de nombreux assistanats d’artistes et en travaillant pendant un certain temps pour des architectes spécialisés dans l’acoustique (« mon rôle était de prototyper pour de gros projets ; j’ai été amené à collaborer avec les architectes les plus importants du moment, comme Renzo Piano ou Jean Nouvel et j’ai ainsi pu comprendre ce qu’était de répondre concrètement à une demande »). Parallèlement, il écrit pour plusieurs revues et passe d’un train à autre pour se rendre dans les différents lieux où l’appellent ses activités.
Mais au bout d’un certain temps, il décide de se concentrer sur une chose unique et ouvre, toujours à Bordeaux, Cortex Athletico, une structure qui n’est pas une galerie, mais un lieu de production pour les artistes. « Ce qui motivait l’ouverture de cette structure, explique-t-il, était une théorie qui m’avait toujours fasciné en économie : la théorie quantitative de la monnaie, qui est l’idée que la richesse ne provient pas du capital, mais de la vitesse de circulation de l’argent. Et ce que je pouvais investir, c’était ma capacité à réfléchir et à m’associer avec d’autres. » Mais au bout de deux ans, il a quand même le sentiment que la galerie est « le lieu le plus libre de l’art, parce qu’il est plus investi que le fait de simplement écrire ou programmer et qu’il exige un choix de vie » et il change la nature de la structure. En 2006, donc, Cortex Atletico garde son nom, mais devient galerie à Bordeaux, une ville dans laquelle il y a peu de galerie et où le marché est quasiment inexistant. La même année, Thomas Bernard, qui n’est pas un habitué des foires et du circuit traditionnel du marché de l’art, intègre Liste, la foire parallèle de la Foire de Bâle, découvre un milieu où règne « la méfiance, l’impatience et le doute » et, l’année suivante, un des artistes qu’il représente, Andreas Fogarasi, gagne le Lion d’or du meilleur pavillon pour la Hongrie à la Biennale de Venise. Dès lors, quelque chose a changé et, depuis Paris, on commence à regarder avec un certain intérêt la trajectoire de ce jeune homme au parcours atypique, même si la capitale reste souvent peu attentive à ce qui se passe en dehors d’elle.
La galerie poursuit son essor. Comme de nombreuses personnes qui occupent désormais des postes à responsabilités y sont passées pour y faire un stage ou y collaborer, elle est aidée et soutenue sur le plan institutionnel. Sur le plan local, elle est aussi appréciée, car elle développe des activités (« on y faisait du théâtre, de la danse, des conférences, etc. ») et fait venir des structures d’autres villes en les hébergeant gratuitement. Mais bientôt surgissent des conflits avec la mairie (même si la galerie ne dépend pas de celle-ci) et Bordeaux change dans un sens qui n’est celui qu’approuve Thomas Bernard. Conscient aussi du fait que son réseau marchand transite essentiellement par la capitale, alors que lui réussit surtout à développer le réseau critique, il décide, en 2013, d’ouvrir un second espace à Paris, avec son plus jeune frère, qui est aussi spécialisé dans l’art (il est désormais commissaire au Mamco de Genève). Il trouve un lieu dans le Marais, rue du Grenier Saint-Lazare, en face de la galerie Laurent Godin, et, comme il retrouve à Paris tous les gens avec lesquels il a tissé des liens à Bordeaux et qu’il se rend compte que, paradoxalement, tout y est moins cher (« les encadreurs, les transporteurs, il n’y a que les loyers qui sont plus onéreux »), il décide de fermer la galerie de la ville de Montaigne. « Il n’a pas eu d’amertume dans cette décision, juste une forme de constat : pour continuer à avancer, il fallait quitter la périphérie. Quand vous entendez quelqu’un du Ministère de la Culture vous dire qu’il ne va pas voir les galeries de Belleville parce que c’est trop loin, vous imaginez ce qu’il peut en être de Bordeaux. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle en cherchant un lieu à Paris, j’ai voulu d’emblée être au cœur de la scène artistique, c’est-à-dire dans le Marais. Quitte à fermer Bordeaux, il fallait vraiment aller là où on pouvait avoir le plus de visibilité… »
Mais en s’installant à Paris, la galerie, qui, en 2015, a déménagé rue des Arquebusiers, dans l’ancien espace occupé par Art : Concept (c’est là où elle se trouve actuellement), n’a rien changé à l’exigence de sa programmation ni de son éthique. Car pour Thomas Bernard, entrer dans une galerie où on n’établit pas le dialogue et où on ne dit même pas bonjour relève d’une hérésie : « c’est exactement le contraire de ce que doit constituer notre activité, dont l’essence est d’être contagieux dans nos enthousiasmes. De même que je pense qu’il faut limiter de plus en plus la participation aux foires qui obligent à entrer dans un système mortifère du toujours plus grand, toujours plus spectaculaire, toujours plus cher. Dans les foires, comme la participation coûte souvent très cher, il faut vendre à tout prix et donc montrer des œuvres pas trop difficiles, qui plaisent et ne demandent pas trop d’accompagnement. Et cette « formatisation » de l’esthétique tend à contaminer l’ensemble du milieu de l’art. Aujourd’hui, on parle surtout en termes de chiffres, de poids, de coûts –il faut voir comment on communique, par exemple, autour de Monumenta -, on perd le sens de l’œuvre, on réduit l’art à des données techniques ou matérielles. Et les institutions suivent, qui ne prennent plus de risques auprès des artistes moins connus, tandis que certains gros collectionneurs deviennent prescripteurs… C’est tout un système dont nous sommes tous un peu responsables qui s’autonourrit et qui se fait au détriment des vrais artistes. Pour ma part, je préfère me concentrer autour de l’espace de la galerie et renforcer des liens de proximité avec des gens qui ont sûrement des choses à m’apprendre ».
La ligne artistique de la galerie, il est vrai, n’est pas de celle qui incite le plus à la facilité et au bling-bling des foires. Pour autant, Thomas Bernard réfute le qualificatif d’austère : « J’ai une exigence, dit-il, qui est celle que je dois à mes visiteurs. Peu importe ce que vous pensez de l’exposition du moment que vous considérez qu’elle a été réalisée avec sérieux et honnêteté. » La liste d’artistes est volontairement réduite pour pouvoir travailler en profondeur avec eux et les accompagner le plus régulièrement possible (« mon devoir est aussi de le inciter à ne garder que l’essentiel, à les conseiller pour que les œuvres soient les plus justes et les plus pertinentes, ce qui n’est pas toujours très simple »). Un des artistes qui ont le plus façonné l’image de la galerie est sans doute Benoit Maire, artiste considéré comme très cérébral, mais dont les récentes productions semblent plus accessibles et plus attractives formellement (« Benoit fait partie des artistes sur lesquels il y a eu un énorme malentendu. On voyait de la froideur dans son travail là où il n’y avait qu’une mise à distance de choses intimes et parfois drôles. C’est parce qu’il a été si mal compris que j’ai tenu à le montrer souvent. ») Par ailleurs, Thomas Bernard n’a pas cherché à accompagner absolument une génération d’artistes puisque, dans sa liste, il y a des artistes plus âgés comme Pierre Clerk, voire même décédés comme Rolf Julius, tout autant que des artistes très jeunes comme Jean-Alain Corre. Et s’il a toujours privilégié les relations de fidélité, il lui est aussi arrivé de rompre avec certains artistes qui ne supportaient pas les confrontations (« je dois aux artistes de construire leur liberté, mais pas de leur donner, précise-t-il, et il m’est arrivé une fois de jeter l’intégralité d’une exposition la veille d’un vernissage parce que je m’étais rendu compte qu’on s’était planté ». Et à ceux qui lui reprochaient de ne montrer qu’une forme d’art très spécialisée, il a répondu l’année dernière à la Fiac avec un stand consacré aux nuages et qui s’ouvrait sur une somptueuse et peu connue toile de Nicolas de Staël qu’on lui avait prêtée (« mon rapport à l’histoire de l’art, rappelle-t-il à ceux qui ne l’aurait pas compris, l’idée qu’une forme émerge parce qu’elle se situe dans une généalogie »).
Pour l’heure, c’est la troisième exposition de l’artiste péruvien Sergio Verastegui que présente la galerie, qui avec le récent déménagement, a aussi repris le nom de son fondateur (« une manière d’assumer l’entière responsabilité de ce qu’on propose »). Une exposition que, là-encore, Thomas Bernard a voulu la plus généreuse et la plus explicite possible : « Sergio est quelqu’un qui est à la fois capable de regarder de près et de loin, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Il a beaucoup voyagé et son travail est marqué par l’idée de pérégrinations, de ce qu’on peut mettre dans une valise. Mais pour cette exposition, justement, nous avons voulu passer d’environnements intimes, que l’on peut voir, presque, un par un, à des œuvres qui supportent une confrontation générale, qui résistent au regard de plusieurs personnes en même temps. Et tout cela sans un discours théorique pour justifier le projet. Je me méfie de plus en plus des discours. Dans les catalogues que j’édite, il y d’ailleurs de moins en moins de texte et quand je visite une exposition où il y a très peu à voir et trois pages de texte, cela me met hors de moi. C’est une question de confiance et de respect du public. Quand les œuvres sont suffisamment fortes formellement, elles n’ont pas besoin d’être expliquées. Et je crois que c’est le cas dans cette exposition-ci ! »
-Galerie Thomas Bernard-Cortex Athletico, 13 rue des Arquebusiers 75003 Paris (www.galeriethomasbernard.com). L’exposition de Sergio Verastegui, Dead Eyes Opened, est visible jusqu’au 2 juillet.
Images : portrait de Thomas Bernard ; Sergio Verastegui « Dead Eyes Opened », vue d’exposition 21/05 – 02/07/2016 crédit photo : Rebecca Fanuele ; Doppelgänger (4) 2016 Cuivre, laiton – 144 x 30 x 6 cm crédit photo : Rebecca Fanuele
2 Réponses pour Galerie Thomas Bernard – Cortex Athletico
Terriblement conventionnel ,cela fait des années que nous » trébuchons » sur ces « installations -marché de l’art « ..L’art n’est jamais là où on l’attend ,il est avec Combo -culture :talent ,innovation,miroir de l’époque …
Il n’y a que 2 femmes sur 14 artistes dans votre galerie.
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