de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Julien des Monstiers

Julien des Monstiers

Dans un précédent billet (cf http://larepubliquedelart.com/premieres-expositions-de-janvier/), je vous parlais de Julien des Monstiers, ce jeune peintre qui expose actuellement à la galerie Christophe Gaillard et qui est le récent lauréat du prix Marin. Et je vous faisais part de toute la vitalité et de l’énergie qui se dégagent de sa peinture qui semble vouloir aborder tous les sujets et tous les styles. Intrigué, j’ai voulu rencontré cet artiste, né en 1983, dont on peut se demander si, pour une première exposition personnelle dans le nouvel espace de la galerie, il a voulu réaliser un coup d’éclat ou si, au contraire, il a montré ce qui était réellement son univers et sa façon de travailler. Et je me suis retrouvé devant un garçon éminemment disponible, ouvert et sympathique, qui a eu réponse à toutes mes questions :

« En fait, explique-t-il, je viens de la peinture figurative, mais j’en ai rapidement eu marre de raconter des histoires. Je préférais que ma subjectivité se manifeste dans le geste, dans la manière d’habiter la toile que dans le sujet choisi. Ce sont souvent les petits gestes en peinture (et aussi la question de la virtuosité) qui m’intéressent le plus. Un de mes peintres favoris, par exemple, est Velasquez que certaines personnes n’aiment pas parce qu’ils trouvent que ses tableaux sont trop virtuoses et faits de trop de touches, alors que, pour moi, ils laissent une vraie place à la peinture. Mais parmi les contemporains, j’aime aussi beaucoup Polke et Richter qui sont passés sans distinction du figuratif à l’abstrait et Christopher Wool, qui transcende les registres savants et populaires, m’a longtemps impressionné. Picasso, avec son incroyable faculté de se renouveler, me fascine toujours et depuis quelque temps, je redécouvre aussi les peintres de Supports/Surfaces dont on m’avait un peu trop gavé quand je faisais mes études, mais dont l’apport me semble important aujourd’hui.

Cette manière de devoir décider si on fait de l’abstrait ou du figuratif, qui est une question que je me pose régulièrement,  justement, me semble spécifique à la peinture. Richter, dont je viens de parler, partait d’un motif pop (publicitaire, par exemple), mais c’était surtout un prétexte à peinture. Moi, au départ, j’ai une idée du tableau que je veux faire (à partir d’une couleur, d’une forme ou d’un motif qui me plaît), mais ça peut changer en cours de route. Mes tableaux sont souvent la superposition d’images que, plutôt que de les juxtaposer dans des collages (comme l’ont fait beaucoup d’artistes du XXème siècle : Rauschenberg, David Salle, etc.), je préfère agglomérer. Le fait d’utiliser toutes ces images soulèvent des problématiques (mais pas des problèmes !) dont je parle souvent avec des collègues et auxquelles, en peinture, il faut essayer d’apporter des réponses. Or, moi qui suis un grand lecteur, j’ai l’impression qu’en littérature, celles-ci sont dépassées : on peut très bien changer de narrateur, être omniscient, puis non, varier de point de vue, etc. Alors que la matérialité du tableau fait qu’au bout du compte, on doit faire un choix. Mais je ne me pose pas ces questions quand je peins, je reste très libre, ça pose juste des problèmes d’accrochages et, peut-être pour le regardeur ensuite, des problèmes d’identification (« à quelle école se rattache-t-il, quel genre, etc. ? »).

Julien_DES_MONSTIERS_JDM107_300J’ai une technique un peu particulière qui s’apparente au transfert, à une forme de décalcomanie en quelque sorte. Elle est née d’une expérimentation d’atelier. Je voulais peindre un tapis (c’est un sujet, avec les papiers peints, qui me fascine parce qu’il est à la marge de l’art, qu’il appartient plus au registre de l’artisanat) et je me demandais comment avoir une texture un peu duveteuse pour bien rendre l’épaisseur de la laine. J’ai eu l’idée alors d’appliquer un calque sur la peinture fraîche et de le retirer pour « arracher », créer du volume. Mais je suis rendu compte que, d’une part, je gâchais beaucoup de peinture, puisque je jetais tout ce qui était sur le calque et que, de l’autre, c’était ce qui restait sur le calque qui me plaisait le plus. J’ai donc décidé de peindre plusieurs couches sur une plaque et de transférer ce qu’il y avait sur celle-ci, en plusieurs fois, à l’aide du calque ou d’un plastique, sur la toile. Petit à petit, la technique s’est améliorée et elle est devenue plus complexe, mais le principe est resté le même : on voit ainsi que c’est peint, mais on ne voit plus les coups de pinceaux, puisque la peinture est écrasée. Ce n’est qu’après que j’interviens pour dessiner certains motifs ou combler les endroits où la peinture n’est pas allée…

Sur certaines toiles, je fais aussi rouler une bille lorsque la peinture est encore fraîche de manière à tracer des sillons et à révéler les différentes couches. C’est une façon d’explorer la surface qui m’a toujours intéressé et qui est essentielle dans mon travail (une exposition que j’avais faite en 2013 à la galerie Eric Mircher s’appelait Supporter la surface et j’ai constaté que la problématique de « surface » avait beaucoup été évoquée depuis). C’est aussi un moyen de faire intervenir le hasard et le jeu, d’introduire du mouvement et de mettre en relief ces gestes de peinture dont je parlais plus haut. Et on peut y voir une manière d’adoucir l’image, de lui donner des courbes qui la rendent moins agressive. J’aime quand les choses sont denses (il y a des nombreux empâtements à la surface de mes toiles). Une de mes amies a fait sa thèse de philosophie sur la mémoire de la matière et c’est une question qui m’intéresse beaucoup : je pense que tout (et la peinture en particulier) porte une trace de l’ensemble auquel il appartient et que si nous nous intéressons au cosmos, c’est parce que nous-même sommes des poussières d’étoiles. C’est en partie pour cette raison que j’ai intitulé la présente exposition  A l’ombre des météorites

J’ai toujours fait de la peinture. Je ne suis pas né dans une famille d’artistes, mais j’ai toujours aimé dessiner et peindre. Lorsque j’ai passé mon bac, je ne connaissais que Picasso et Magritte, mais je peignais régulièrement et je faisais de la bande dessinée. D’ailleurs, je n’envisageais pas une carrière d’artiste, mais on m’a incité à aller voir les Beaux-Arts et j’ai tout de suite senti que ma place était là : au milieu de la peinture, de son odeur, de sa texture, et je ne suis passé que par les ateliers de peinture où j’étais le plus à ma place. Pour autant, je ne m’intéresse pas qu’à ce médium. J’aime la vidéo et j’ai moi-même réalisé de petites vidéos qui ont un lien avec le geste, avec la notion de virtuosité, et qui ne sont pas non plus sans lien avec les sports de glisse que j’ai pu pratiquer.  Mais j’aime aussi la performance, Fluxus, toutes ces choses-là : je crois que si j’étais collectionneur, ce sont les œuvres de Robert Filliou que j’achèterais avant tout.

_DES_MONSTIERS_JDM091_300Il y a peu de figures humaines dans mon travail (beaucoup plus d’animaux) et encore moins d’histoires personnelles. Pourtant, une figure a donné lieu à plusieurs tableaux : celle de Fantômas. En fait, j’avais vu le film quand j’étais enfant et cela m’avait terrorisé. Je n’avais rien perçu de l’aspect comédie et seul le côté fantastique m’avait marqué. Et je crois que ce masque que portait Jean Marais et lui enlevait toute expression humaine avait beaucoup à voir, pour moi, avec l’idée de peinture et que j’éprouvais le besoin, peut-être, de l’exorciser. D’ailleurs on retrouve cette couleur gris-bleu dans pas mal de mes tableaux. Mais pour le reste, je préfère garder les choses à distance, peindre indifféremment des animaux, des motifs floraux ou des choses abstraites. Lorsque ma copine était enceinte, je l’ai prise en photo avec l’intention de faire un tableau qui rappellerait le « Nu descendant l’escalier » de Duchamp. Et je crois que cela ferait un très beau tableau. Mais pour le moment, je n’éprouve pas le besoin de le faire. J’ai l’image et cela me suffit.

Pour cette exposition, que j’ai conçue en à peine six mois, je craignais surtout l’accrochage car le nouvel espace que Christophe Gaillard me mettait à disposition avait quelque chose d’impressionnant. Et je n’ai pas encore la maîtrise pour venir avec trois grandes toiles qui synthétiseraient entièrement  mon style et rempliraient le lieu. Je me suis donc demandé comment faire pour venir avec toutes mes toiles sans donner l’impression qu’elles étaient le fruit de dix peintres différents. Mais je crois que l’accrochage a permis d’éviter cet écueil. D’ailleurs, je crois que je n’aurais pas voulu me brider à l’atelier en ne peignant que sur un seul format. J’aime à multiplier les formats et je prends même plus de plaisir à faire des petits formats, parce qu’ils correspondent à un geste, sans repentir, alors que les grands, sans doute parce que je n’ai pas encore résolu certains problèmes techniques, ne sont que la répétition de ce geste. Mais j’espère à l’avenir résoudre ces problèmes et avoir la même jouissance, dans un cas comme dans l’autre.

De même que, bien qu’étant encore jeune, je ne me fais pas trop de soucis sur l’évolution de ma peinture. J’ai tendance à travailler par corpus et, lorsque j’étais aux Beaux-Arts, mon professeur, Jean-Michel Alberola me disait souvent : « Attention, tu vas faire des tableaux pour les aéroports ! ». Mais je crois savoir arrêter une série à temps et, chez moi, un tableau en engendre toujours un autre, même de manière très intuitive ou par accident. C’est un peu pareil en philosophie, on ne trouve pas des concepts qui auraient été laissés là par l’humanité : on les crée. On les crée, mais cela ne fait sens qu’à un moment donné… »

-Julien des Monstiers, A l’ombre des météorites, jusqu’au 27 février à la galerie Christophe Gaillard, 5 rue Chapon, 75003 Paris (www.galeriegaillard.com)

 

-Images : Julien DES MONSTIERS, À l’ombre des météorites, 2015, Huile sur toile, 80 x 60 cm Pièce unique Signé et daté Rebecca Fanuele ; Crâne, 2015 Huile sur toile 30 x 30 cm Pièce unique Signé et daté ; Tapis, 2015 Huile sur toile 240 x 180 cm Pièce unique Signé et daté Rebecca Fanuele

Cette entrée a été publiée dans L'artiste à découvrir.

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commentaires

2 Réponses pour Julien des Monstiers

Mnbau dit :

Très intéressant, point de vue sur l’art et surtout la technique utilisée.

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