de Patrick Scemama

en savoir plus

La République de l'Art
Plongée vers l’intime à la Fondation Carmignac

Plongée vers l’intime à la Fondation Carmignac

Douceur de septembre, lorsque la lumière se fait dorée et que le soleil ne brûle plus, mais caresse et réconforte. Les journées au bord de l’eau sont particulièrement délicieuses. Et si cette eau est la Méditerranée qui entoure l’île de Porquerolles, la sensation de calme et de quiétude n’en sera que plus grande. Et si l’on veut prolonger ou alors amplifier ce sentiment de bien-être (et qu’on se trouve, bien sûr, à Porquerolles), il faut aller voir l’exposition qui se tient jusqu’à début novembre à la Fondation Carmignac et qui est une des plus belles depuis l’ouverture de ce lieu.
Car cette exposition a été conçue par un commissaire extérieur, Jean-Marie Gallais, qui l’a pensée comme une divagation autour du thème de l’île. Elle s’intitule L’Ile intérieure, c’est donc une mise en abyme de l’insularité, mais surtout l’occasion de se demander ce qu’est une île, si c’est juste d’un espace géographiquement délimité ou un lieu où l’esprit se replie, se ressource, se terre. Il s’agit d’un temps comme suspendu, entre deux, où l’obligation, qui peut être parfois exaspérante, de visiter l’exposition pieds nus -puisque telle est la règle dans cette Fondation-, prend ici tout son sens. D’ailleurs, Jean-Marie Gallais s’en explique : « À travers cette exposition, j’essaie aussi de souligner l’une des tendances fortes de l’art contemporain à imaginer des situations hors de temporalités et géographies connues. Et cela finit par parler du présent. Certaines des œuvres sont plus sombres, elles nous mettent face aux incertitudes du monde, elles livrent une réflexion sur notre rapport au passé ou imaginent des futurs, elles sondent nos croyances, d’autres sont en dialogue avec l’histoire de l’art et la manière de faire naître des images dans notre monde – le voyage est donc autant physique que mental, comme l’île est autant physique qu’intérieure. »

Pour mieux faire ressentir ce voyage du dehors vers le dedans, il inverse aussi le sens du parcours. On commence ici par le rez-de-chaussée, où sont montrées quelques œuvres qui donnent les clés de l’exposition et l’ancre dans la réalité qui l’entoure. Ce sont une toile de Roy Lichtenstein, Landscape, dans laquelle la tête d’une femme devient paysage, et une somptueuse sculpture de Rodin, La Voix intérieure (ou Méditation sans bras), qui, malgré le fait qu’elle soit incomplète, est une de ses créations que le sculpteur estimait le plus. Et des œuvres qui ont un lien direct (les photos de Bernard Plossu, les peintures de Jean-Philippe Auburtin ou Henri-Edmond Cross) ou indirect (Anna-Eva Bergman) avec Porquerolles. Avant de descendre dans les sous-sols et de voir des œuvres qui s’éloignent davantage de la réalité, on avance dans une sorte de couloir où sont exposés des artistes qui « apprennent à voir », c’est-à-dire qui aiguisent notre perception visuelle et nous permettent d’avoir une approche plus affutée du monde : Edgar Sarin, Kiki Smith, Verne Dawson ou encore Camille Henrot.

Puis la descente se fait sous une œuvre suspendue, qui redessine des routes maritimes centenaires, de Mark Bradford. Et là, on aboutit à une salle hors du temps, qui présentent des œuvres qui ont plus valeur de symboles ou de métaphores : d’énigmatiques et fascinantes sculptures d’Ali Cherri, de petites aquarelles de Giulia Andreani, la si célèbre toile de Peter Doig représentant un homme sur un canoë de taille démesurée (100 Years Ago- Carrera), celles non moins puissantes d’Harold Ancart et d’Etel Adnan, etc. Et cette salle ouvre sur la Croisée, c’est-à-dire un lieu où on retrouve la lumière et au centre duquel apparaissent cinq monticules colorés qui sont le fruit de la collaboration entre l’artiste Agnieszka Kurant et des colonies de termites et qui représentent pour ces insectes ce que la construction d’une cathédrale ou d’une pyramide a pu être pour l’homme. A partir de cette installation étonnante, Jean-Marie Gallais a imaginé un parcours dans lequel on circule librement et qui proposent des pièces d’artistes aussi importants et différents que Christopher Wool, Sigmar Polke, Simon Hantai, Otobong Knanga, Jérémy Demester ou Christine Safa. A noter une salle réunissant de superbes photos de Darren Almond réalisées à Porquerolles les soirs de pleine lune et qui sont une commande de la Fondation Carmignac.

Ce qui est beau, au fond, et particulièrement réussi dans cette exposition, c’est le fait que le commissaire ait fait appel à de nombreux autres artistes que ceux qui figurent dans la collection de la Fondation. En effet, à part bien sûr les œuvres permanentes (la fontaine de Bruce Nauman, la grande peinture de Barcelo ou la sculpture dans l’escalier de Janaina Mello Landini), il n’y que peu d’œuvres qui relèvent de l’important ensemble constitué par les Carmignac, père et fils : outre le Lichtenstein déjà cité, entre autres, un grand Basquiat et une petite tête Taïno. Et du coup, on est moins dans l’esprit pop, parfois un peu tape-à-l’œil, qui caractérise cette collection, mais davantage dans un univers intime, tourné vers la réflexion et la contemplation. Et l’on prend du plaisir à s’immerger dans ce monde sensible, où chacun peut y trouver son compte, avant de continuer la visite par les jardins où est venue s’ajouter, récemment, aux œuvres déjà existantes, une étonnante et spectaculaire sculpture d’Adrian Villar Rojas qui est une créature venue de la mer et qui transporte avec elle les restes d’animaux et de civilisations disparues.

L’Ile intérieure, jusqu’au 5 novembre à la Fondation Carmignac sur l’île de Porquerolles (www.villacarmignac.com)

Images : Darren Almond Fullmoon@Sarranier, 2022 Tirage photo Île de Porquerolles Co-production Fondation Carmignac et l’artiste ; Auguste Rodin La Voix Intérieure ou Méditation sans bras, 1896 Bronze 146 x 75 x 55 cm Musée Rodin © agence photographique du musée Rodin – Pauline Hisbacq ; Verne Dawson Macedonia Road, 2013 Huile sur lin 182,9 x 4 x 213,4 cm Courtesy de l’artiste et Victoria Miro © Verne Dawson

Cette entrée a été publiée dans Expositions.

0

commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

*