de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Primitifs

Primitifs

On ne connaît pas assez le Musée Zadkine, ce charmant petit musée situé rue d’Assas, comme une enclave entre deux grands immeubles. C’est la demeure et l’atelier où vécut et travailla le sculpteur d’origine russe de 1928 à 1967. Articulé autour d’un jardin où sont installées ses œuvres, il est aussi un des derniers témoignages des ateliers d’artistes tels qu’ils existaient, à l’époque, dans le quartier de Montparnasse. Rénové avec soin en 2012, il abrite en permanence des pièces de l’artiste qui fut une des grandes figures de l’Ecole de Paris.

Mais depuis quelques années, il fait aussi appel à des artistes contemporains pour des confrontations avec le maître des lieux. C’est ainsi que se tient actuellement une très riche exposition intitulée L’Ame primitive. Elle prend pour postulat le fait que Zadkine, au début du XXe siècle, se soit tourné vers le « primitif », c’est-à-dire tout ce qui se détourne des valeurs de la civilisation et célèbre le geste simple et naïf, celui de l’artisan ou du peintre d’enseignes ou d’icônes, pour élaborer son langage sculptural. Et elle le met en relation avec des artistes d’aujourd’hui qui eux-aussi se revendiquent comme « sauvages », « fauves », « néo-primitivistes ». C’est ainsi qu’un premier chapitre, La Perspective inversée, reprend le titre d’un ouvrage du philosophe et théologien russe Paval Florenski qui définit le primitivisme en contestant « l’idée d’une hiérarchie entre les productions artistiques, qui serait fonction du degré de développement de la société, ou de l’individu dont elles seraient issues ». On y voit des sculptures de Zadkine, tout autant que des collages de Hannah Höch ou L’Homme-lion d’Abraham Poincheval, bien connu pour ses performances-limites.

Un deuxième chapitre met en avant le corps, car pour les primitivistes, il s’agissait de le libérer des carcans sociaux dans lesquels il étouffait. Place cette fois à des œuvres de Derain ou de Rodin, mais aussi de Miriam Cahn (une toile comme hallucinée), de Mark Manders, de Louis Fratino ou de Eva Hesse. Enfin un troisième chapitre, La Demeure, se joue dans l’atelier de Zadkine. Il y montre l’importance pour nombre d’artistes modernes et contemporains « de rétablir l’idée et les gestes d’un nécessaire enveloppement qui ne soit pas seulement matériel, mais aussi rituel, psychique, mémoriel ». Cette section, qui engage autant l’esprit que le corps, s’illustre par des pièces d’Etienne-Martin, de Caroline Achaintre, de Rebecca Digne ou de Mathieu Abonnenc.

En tout, c’est une trentaine d’artistes (parmi lesquels Jean Arp, Kandinsky, Fernand Léger ou Marisa Merz) qui font face à Zadkine. Tous ne se conforment pas exactement à la notion de primitivisme exposée en début d’exposition (peut-on mettre Mark Manders ou Morgan Courtois dans cette catégorie ?). Mais qu’importe, la déambulation, qui ne se veut pas autoritaire, est lumineuse, les œuvres sont belles et on ne dira jamais assez l’intérêt qu’il y a à faire dialoguer des œuvres de provenances si différentes.

Primitive, l’œuvre de Georg Baselitz l’est complètement, depuis les premières toiles des années 60 qui firent scandale pour la manière dont elles interpelaient l’Histoire jusqu’aux dernières, évanescentes, le représentant lui et sa femme dans une forme de maniérisme, en passant par celles qui virent le renversement de la figure pour évacuer la question du sujet et bien sûr la sculpture, inspirée de l’art africain, qu’il taille directement dans le bois. On ne s’étendra pas ici sur la carrière et le côté sauvage de cet immense artiste, qui a été souvent montré et dont le travail a donné lieu à de nombreuses publications. Mais on signalera l’incroyable pertinence de la rétrospective qui est actuellement présentée au Centre Pompidou, sous le commissariat de Bernard Blistène et de Pamela Sticht. Il est rare en effet qu’en voyant ce type d’expositions, on ait à ce point le sentiment de n’être que face à des œuvres majeures, qui correspondent à chaque fois à une époque différente et surtout qui ne se répètent pas (outre le fait qu’on découvre des œuvres très peu connues, comme les paysages). Mais on peut retourner la constatation et dire que c’est parce que le travail de Baselitz est à ce point puissant, innovant et en perpétuelle recherche qu’il permet ainsi d’aller à l’essentiel (comme l’était la rétrospective, déjà au Centre Pompidou, de Gerhardt Richter, l’autre grand peintre allemand de ces cinquante dernières années, à la fois collègue et frère ennemi). Quoiqu’il en soit, il faut impérativement aller voir cette exposition : même si on ne partage pas toutes les opinions de l’artiste (en particulier son point de vue sur les femmes), on peut que s’incliner devant la grandeur et la force de son œuvre, qui a revendiqué sa foi en la peinture, l’a défendu même à l’époque où il était difficile de le faire et qui a trouvé en elle les moyens de se renouveler et de renouveler le geste pictural tout entier.

L’Ame primitive, jusqu’au 27 février au Musée Zadkine, 100 bis rue d’Assas 75006 Paris (www.zadkine.paris.fr)

-Baselitz, La Rétrospective, jusqu’au 7 mars au Centre Pompidou (www.centrepompidou.fr)

Images : Louis Fratino (né en 1993), Saturday [Samedi], 2019, Terre cuite et lavis d’oxyde de manganèse, 13 × 13,3 × 5 cm, Courtesy de l’artiste et de la galerie Ciaccia Levi, Paris © Louis Fratino, courtesy galerie Caccia Levy / Photo © Aurelien Mole ; Ossip Zadkine (1888- 1967), Tête aux yeux de plomb, [1919], Pierre calcaire, 50 × 23 × 23 cm, Legs de Valentine Prax, 1981, Paris, musée Zadkine , Ossip Zadkine © Adagp, Paris 2021, photo E. Emo/F. Cochennec /Musée Zadkine/Paris Musées ; Georg Baselitz, Die Mädchen von Olmo II, 1981 Huile sur toile 250 × 249 cm Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, Paris © Georg Baselitz, 2021 Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI / Bertrand Prévost / Dist. RMN-GP

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commentaire

Une Réponse pour Primitifs

Daniel Gauthey dit :

Ce lieu plein d’intimité est un incontournable , il faut entrer au musée Zadkine.

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