de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Le dessin à la fête

Le dessin à la fête

Cette semaine, à Paris, c’est la semaine du dessin et jusqu’à la fin du week-end se tiennent simultanément le Salon du dessin au Palais Brongniart, Drawing Now, le salon du dessin contemporain, au Carreau du Temple et DDessin dans l’ancienne imprimerie du magazine L’illustration, rue de Richelieu. Si le premier, qui propose des feuilles classiques ou de l’art moderne, en est à sa 28e édition, le deuxième, qui se concentre sur le dessin d’aujourd’hui, n’en est qu’à sa 13e, mais il a su trouver une place particulière dans la longue liste des foires qui fleurissent, désormais, tout au long de l’année. Tant par sa spécificité que par la qualité des galeries présentes. Et par la surface qu’elle occupe, qui n’est pas petite, mais qui reste à taille humaine et qui permet une circulation agréable et fluide entre les stands.

Chaque année aussi, un thème vient animer le salon et le sortir de sa seule logique marchande. Et cette année, c’est celui du « dessin performé », c’est-à-dire du dessin réalisé lors d’une performance, le plus souvent avec un protocole très établi. Ainsi, sur le stand de Jean Brolly, par exemple, on peut voir une très belle performance de Mathieu Bonardet au cours de laquelle l’artiste s’engage physiquement en grattant la pointe d’un crayon sur un mur jusqu’à épuisement et jusqu’à ce que le crayon cède (le même Mathieu Bonardet bénéficie en ce moment d’une exposition personnelle à la galerie). Et pendant le salon, on a déjà pu voir des performances de Marianne Mispelaëre, dont on avait découvert le travail au salon de Montrouge, ou de Nikolaus Gansterer, en attendant celles de Jean-Christophe Norman, de Chourouk Hriech ou d’Ana Garcia Pineda dans les deux prochains jours.

Sinon, le salon lui-même, au rez-de-chaussée, est d’un très bon niveau. Avec une cinquantaine de galeries, dont certaines comme Lelong ou Suzanne Tarasiève, qui reviennent régulièrement, l’offre est diversifiée et aligne une gamme de prix qui va de 300/400 € à des sommes beaucoup plus élevées. Parmi les propositions les plus marquantes, on retiendra : le stand de Loevenbruck transformé en brasserie où l’on peut boire une bière et partir avec un sous-verre humoristique dessiné par un des quatre artistes présentés (Arnaud Labelle-Rojoux, Philippe Mayaux, Vuillemin, Willem), le stand d’Alain Gutharc qui présente tout un mur de dessins d’Edi Dubien, un artiste très attachant dont il a déjà été question dans ces colonnes (cf http://larepubliquedelart.com/echappees-poetiques/) et qui n’en finit pas de mettre en scène une enfance douloureuse et une identité mal déterminée,  le stand de Caroline Smulders (avec Thaddaeus Ropac), qui a eu l’excellente idée de présenter les œuvres sur papier de trois des plus grands sculpteurs anglais appartenant à la même génération (Richard Deacon, Anthony Gormley, Bill Woodrow), le stand de VNH Gallery qui montre des dessins, entre autres, de Friedrich Kunath, ce formidable artiste né en Allemagne de l’Est, qui vit désormais à Los Angeles et dont a pu voir une bien belle exposition au Crédac d’Ivry, il a cinq ans (cf http://larepubliquedelart.com/decouvertes-ivry/) ou celui de Karsten Greve, qui rend hommage à la grande Pierrette Bloch, récemment disparue.

Moins convaincantes, en revanche, sont les galeries du sous-sol, avec le secteur Insight, consacrées aux artistes moins connus ou aux galeries émergentes, et le secteur Process, qui invite à une définition plus large de la notion de dessin. Avec quelques exceptions, toutefois, comme la galerie Archiraar de Bruxelles, qui réunit de manière pertinente les pratiques de Mélanie Berger et Claude Cattelain. A noter qu’un prix Drawing Now est décerné  chaque année et que, cette année, c’est Lucie Picandet, qui expose ses dessins colorés chez Georges-Philippe et Nathalie Vallois, qui l’a remporté (l’autre grand prix décerné cette semaine, celui de la Fondation Daniel et Florence Guerlain, a été attribué à Claire Morgan, une artiste irlandaise représentée par Karsten Greve). Enfin, DDessin, qui réunit une vingtaine de galeries sur deux étages, rue de Richelieu, permet de découvrir quelques propositions intéressantes (les dessins énigmatiques, par exemple, de Peter Martensen chez Marie Lund ou ceux, virtuoses, de Marcos Carrasquer chez Polaris), mais l’ensemble reste trop disparate et peine à trouver un véritable ancrage de ce panorama du dessin parisien.

Mais il n’y pas qu’à Paris que le dessin est célébré. Au Frac Picardie d’Amiens aussi, un Frac qui, d’ailleurs, s’est spécialisé dans le dessin depuis sa création en 1983. Pour présenter quelques-unes des pièces essentielles de sa collection, riche de plus de 1300 œuvres, il organise actuellement un cycle de trois expositions regroupées sous le titre de : Histoires de dessins. La première placée sous le commissariat de Joëlle Pijaudier-Cabot, a eu lieu au début de cette année et elle s’intéressait surtout aux œuvres des années 70. La deuxième, qui vient d’ouvrir, intitulée Le Hasard et le Vagabond, s’attache plus particulièrement aux œuvres des années 90. Quant à la dernière, qui est programmée pour l’automne prochain, elle sera conçue par Dominique Abensour et concernera les œuvres à dimension variable.

Le Hasard et le Vagabond a été confiée à Laurent Busine, qui a longtemps fait partie du comité d’acquisition de ce Frac et qui connaît donc bien la collection. Plus qu’une exposition historique ou thématique, c’est une promenade au sein de celle-ci, qui tend montrer toutes les possibilités et les ouvertures qu’offre le dessin et qui, pour ce faire, revient à la fable de Pline l’Ancien, selon laquelle le dessin serait né du geste d’une jeune fille qui, désirant un jour fixer sur un mur le profil de son bien-aimé, se serait servi d’un charbon de bois et aurait suivi le tracé de l’ombre de sa tête pour le faire. Elle s’ouvre d’ailleurs par une œuvre de Jean-Michel Alberola qui n’est pas un dessin au sens traditionnel du terme, mais un néon, c’est-à-dire une manière de tracer une ligne dans l’espace avec ce matériau qui peut être celui des enseignes publicitaires. Et plus loin dans l’exposition, on trouve aussi des vidéos, comme celle très étonnante de Angel Vergara Santiago, qui met en abyme l’artiste en train de dessiner une femme qui tient dans ses mains une reproduction de l’Autoportrait à la palette de Manet (Jeune femme au miroir, 2007). Ou une sublime photo en diptyque de Jean-Luc Mylayne, qui représente, bien sûr, des oiseaux dans la nature, mais qui fait surtout sens ici pour le dessin dans l’espace que ceux-ci réalisent et qui est accompagnée d’un plan de l’exposition dans lequel l’artiste explique l’importance et la constance du dessin dans sa pratique photographique.

Il n’y a rien de démonstratif dans cet accrochage subtil de Laurent Busine. Plus une mise en relation entre les œuvres, un jeu avec leur plein et leur délié, une manière de voir comment elles dialoguent et se répondent. Ainsi, à une vidéo d’Edith Dekyndt dans laquelle de l’encre rouge diluée dans de l’eau forme une série d’entrelacs répondent de très beaux dessins à la sanguine de Didier Trenet ou une œuvre au spray de Penone. Ainsi, un ensemble de très touchants dessins d’Anne-Marie Schneider, qui a été en résidence au Frac, prolonge-t-il une feuille abstraite toute en longueur, d’une précision et d’une sensualité étonnantes de Gabriel Orozco. Ainsi, des étoiles d’Hubert Kiecol  deviennent-elles des fleurs de Sylvia Bächli si on leur ajoute une tige. Au total, ce sont 42 œuvres de 21 artistes qui sont mises en avant et qui sont ponctuées par des miniatures du XIXe siècle qui ne font pas partie de la collection de l’institution, mais qui sont des représentations de l’acte de dessiner. Et dans cette déambulation élégante, des rapprochements se font, des histoires se nouent et le spectateur, sans pouvoir vraiment l’expliquer, sort avec le sentiment que ce hasard évoqué dans le titre a bien fait les choses.

-Drawing Now jusqu’à dimanche 31 mars au Carreau Temple, 75003 Paris (www.drawingnowartfair.com)

-DDessin jusqu’au dimanche 31 mars à l’Atelier Richelieu, 60 rue de Richelieu 75002 Paris (www.ddessinparis.com)

Le Hasard et le vagabond jusqu’au 29 juin, au Frac Picardie, 45 rue Pointin 80000 Amiens (www.frac-picardie.org)

 

Images : vue partielle du mur avec les œuvres d’Edi Dubien sur le stand de la galerie Alain Gutharc à Drawing Now ; performance de Marianne Mispelaëre à Drawing Now ; Marlene Dumas, Two of a kind, 1994 © Marlene Dumas (œuvre présentée dans le cadre de l’exposition Le Hasard et le Vagabond au Frac Picardie).

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